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Article du numéro 457 - 01 février 2013
Qui est pauvre ? Qui sont les pauvres ? Combien sont-ils ? Cette batterie de questions traverse les siècles, les couloirs des administrations sociales, et l'esprit de nombreux chercheurs et observateurs des politiques sociales. Le grand sociologue Georg Simmel, dans un texte datant à l'origine de 1907, nous invite à repousser des oppositions binaires réductrices, et à nous méfier des tentatives dangereuses de découverte de la nature particulière des pauvres ou de l'essence distinctive de la pauvreté. Tous les articles du numéro 457 |
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Pour Georg Simmel, est pauvre celui qui est pris en charge, ou qui devrait être pris en charge, par les dispositifs de prise en charge de la pauvreté. Cette conception a le mérite à la fois de la clarté et de l'efficacité, ce qui permet de mettre de côté des spéculations métaphysiques sans fin et d'offrir des perspectives pour l'analyse de la pauvreté et des politiques publiques qui tentent de la réduire. Il y a, dans la définition de Simmel, une caractérisation du phénomène très contemporain de « non-recours ». Ceux qui sont éligibles à une aide sociale et qui ne la touchent pas, sont à considérer de la même manière que les bénéficiaires de cette prestation (le RSA par exemple).
Georg Simmel, Les Pauvres, Paris, PUF, « Quadrige », 2011, 112 pages, 10,50 e.
Les Pauvres, dont la première édition date du début du XXe siècle, est plus abstrait qu'une simple tentative de caractérisation de la population pauvre ou de délimitation des contours statistiques de la pauvreté. L'essentiel de l'apport du texte réside dans la rupture opérée avec les approches essentialistes de la pauvreté. Dans une introduction à cette traduction française, Serge Paugam et Franz Schultheis écrivent qu'ils voient là l'acte de naissance d'une véritable sociologie de la pauvreté. La pauvreté, pour Simmel, n'est pas un phénomène marginal que des variables multicritères sauraient totalement démarquer, mais un problème central qui concerne toute la société. Elle doit se penser en termes d'interdépendance sociale. Contre la définition substantialiste, qui prévalait à l'époque de la rédaction du texte et qui demeure une tentation courante, consistant à se satisfaire de seuils relatifs toujours arbitraires, Simmel met en lumière le caractère radicalement relationnel de la pauvreté.
Parce que « personne n'est pauvre socialement avant d'avoir été assisté », le véritable objet sociologique n'est ni le pauvre, ni la pauvreté, mais la relation d'assistance. Celle-ci est individualisée, car elle répond à des besoins particuliers. Elle s'attache plus à satisfaire le donateur que le receveur, car elle est octroyée dans l'intérêt du premier (individu ou collectivité). Troisième trait de l'assistance, elle est conservatrice car elle est là pour « le maintien du statu quo social » ; terrible formule qui signifie que l'assistance, volontaire ou obligatoire, est d'abord produite dans l'intérêt de la communauté.
La démarche simmelienne permet de dépasser la seule description et la seule comptabilité. Ces dernières restent cependant fondamentales, et l'analyse fouillée des situations vécues par les pauvres est essentielle.
Face à la pauvreté, faut-il privilégier des réponses spécifiques adaptées à une catégorie particulière de la population, ou des mesures génériques capables de résoudre des problèmes sociaux généraux ? En un mot, faut-il lutter contre la pauvreté, ou contre les inégalités ? Simmel ne pose pas cette question très actuelle. Mais il permet de la soulever et de la baliser.