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Article du numéro 456 - 15 janvier 2013
Proche de l'équipe de campagne de François Hollande, l'économiste Gilbert Cette estime que les problèmes structurels de notre économie imposent des réformes... |
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occupe une place de choix depuis quelques années, dans la galaxie des économistes écoutés. Membre du Conseil d'analyse économique (CAE), professeur associé à l'Université de la Méditerranée Aix-Marseille III, il est spécialisé dans l'étude du marché du travail, des temps de travail et de la productivité. Dernier livre en date, paru en 2011 : Le partage de la valeur ajoutée avec Philippe Azkenazy & Arnaud Sylvain, Paris, La Découverte, coll. « Repères ».
C'est un problème structurel. Depuis 1999, nous assistons à la dégradation continue du solde du commerce extérieur français. Et rien n'annonce un renversement de tendance si nous ne faisons rien. Nous devons donc engager des réformes structurelles, sur les marchés des biens et du travail. Ce qui aura pour effet de dynamiser la productivité du travail et de diminuer l'inflation en France, et donc d'augmenter le pouvoir d'achat des Français. Le seul problème, c'est que les réformes ont des effets décalés dans le temps, de l'ordre de trois à cinq ans. Les Français risquent donc d'avoir le sentiment de faire des efforts sans être payés en retour. D'où la nécessité d'intercaler des mesures à effets immédiats pour adoucir l'impact des réformes.
Il faut bien expliquer les enjeux aux Français. Les réformes sur le marché du travail peuvent s'entendre si elles sont accompagnées de pédagogie. Il est nécessaire de donner plus de marges aux partenaires sociaux afin qu'ils dégagent des compromis. La complexité du Code du travail est un frein pour le développement des entreprises. Dans le domaine du temps du travail, en respectant la réglementation européenne, les partenaires sociaux seront obligés de trouver des accords pour épouser la courbe des carnets de commandes. Il ne faut pas croire cependant que le Code du travail empêche de licencier, les chiffres du chômage sont malheureusement là pour l'attester. En revanche, les contraintes peuvent empêcher un chef d'entreprise d'embaucher parce qu'il redoute l'avenir. Il est donc nécessaire de rendre le rapport entre l'entreprise et les salariés plus simple, par la voie d'un accord majoritaire qui créerait ainsi les conditions d'un climat de confiance.
Cette appellation ne signifie rien, elle est utopique, même si l'on peut regretter qu'il y ait près de quarante contrats différents en France. Il y a des cas très concrets qui bloquent la mobilité des salariés ou l'envie d'embaucher des chefs d'entreprise. Prenons l'exemple des femmes enceintes, qui n'est pas anodin, puisque l'on dénombre dans notre pays 800 000 naissances chaque année. Il est normal qu'un congé maternité soit accordé à une femme nouvellement maman. Il est tout aussi normal que l'on puisse accorder la possibilité au chef d'entreprise de n'embaucher un(e) remplaçant(e) que dans la seule limite du congé maternité, sans autre forme d'obligations vis-à-vis du salarié. Autre exemple : certains salariés, anciens dans l'entreprise, hésitent parfois à changer d'entreprise parce qu'ils craignent de perdre leur ancienneté dans leur nouveau cadre professionnel. Il doit être possible d'assurer au salarié qui a travaillé pendant plusieurs années de conserver l'acquis de cette ancienneté. C'est cette fluidité du contrat de travail qu'il faut accentuer pour combattre les immobilismes dans un monde économique qui réclame toujours plus d'adaptations, de formations professionnelles et personnelles.
Il faut avant tout donner la plus grande autonomie aux accords d'entreprise. Cette évolution doit, bien entendu, se construire dans un contexte de réforme totale de notre formation professionnelle qui présente le défaut majeur de ne pas bénéficier à ceux qui en ont le plus besoin. La mobilité des salariés est inenvisageable sans une formation professionnelle capable de réduire les freins à l'embauche.
Notre pays additionne deux éléments qui stimulent la dépense publique : le nombre très élevé de communes et la superposition de plusieurs strates institutionnelles. Tôt ou tard, nous serons dans l'obligation d'appliquer un autre système parce que l'actuel est trop onéreux. Les élus y sont forcément opposés mais d'autres pays voisins fonctionnent aussi bien sans autant de niveaux de décisions. Ce n'est pas parce que l'on rationalise le fonctionnement des collectivités, le service rendu à la population, que l'on perd forcément en qualité. Par ailleurs, la décentralisation est génératrice d'inégalités territoriales puisque le « pouvoir d'achat » des collectivités diffère, que l'on vive à Neuilly ou dans des communes du 9.3. Une réforme systémique s'impose, et pas seulement à la marge. Cette évolution doit se faire dans le cadre du non-cumul des mandats. D'abord parce qu'il apportera une nouvelle respiration démocratique à notre pays. Ensuite, parce qu'il est impossible d'imaginer qu'une Assemblée nationale mène à bien un travail législatif serein si elle n'est composée que d'élus locaux.
Il faut changer de vision. Les tâches des élus sont de plus en plus spécialisées, il faut plus de temps. Je suis bien sûr favorable à la création d'un statut de l'élu. S'ils sont moins nombreux, du fait de la mutualisation de certaines collectivités, adossées à des compétences claires, lisibles, les élus pourront être mieux payés à hauteur de l'investissement qu'ils consentent.
Tout le monde ressent l'urgence à engager les réformes. François Hollande s'attaque à des rentes de situation, à des privilèges. J'ai du mal à comprendre l'étendue de son impopularité alors qu'il ne fait que mettre en œuvre les mesures annoncées pendant la campagne.
La réforme du marché du travail fait actuellement l'objet d'âpres discussions entre syndicats et patronat. Les dernières propositions du Medef dessinent quelques avancées pour les salariés, notamment en matière de complémentaire santé ou de droits à la formation. Le Medef entend même faire passer dans le vocabulaire le mot tabou de « flexibilité », proposant plusieurs dispositifs de sécurisation du parcours professionnel. Mais le patronat reste sourd pour l'heure à une revendication majeure des syndicats, à savoir la modulation des cotisations sociales pour décourager le recours aux contrats courts (intérim, CDD). La plupart des syndicats assurent que sans une avancée significative sur les contrats courts du côté du patronat, la négociation a de fortes chances d'échouer. Syndicats et patronat ont 15 jours pour parvenir au « compromis historique » voulu par le président François Hollande, sur fond d'explosion du chômage. Si tel n'est pas le cas, le gouvernement légiférera.