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S'enrichir de ses désaccords : la méthode Viveret

Article du numéro 454 - 01 décembre 2012

Communication

Les alchimistes transformaient bien le plomb en or, Patrick Viveret propose une méthode pour transformer les désaccords en intelligence collective...

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Construire des désaccords féconds : une gageure ? C'est pourtant le thème d'une formation que propose Patrick Viveret, à des groupes (partis politiques, collectivités, collectifs, etc.) qui le sollicitent. Connu notamment pour son rapport sur les Nouveaux indicateurs de richesse, auprès de l'ancien secrétaire d'État à l'Économie solidaire, Guy Hascoët, le philosophe a plus que touché du doigt la construction de l'intelligence collective (et ses vicissitudes), via ses différents engagements (1). Fort de son expérience, il a mis au point une méthode qui vise à échafauder des solutions, non pas sur le plus petit dénominateur commun, mais au contraire le plus large éventail d'avis, même contradictoires... « Il ne s'agit pas d'un outil tout terrain, je le préconise là où les participants sont tous motivés, là où l'on sait déjà communiquer » prévient-il.


Libérer l'émotionnel

D'abord trouver un modérateur extérieur à l'enjeu du groupe, habile pour désamorcer les pièges du langage, pour reformuler et un co-animateur, extérieur également, qui va prendre des notes sur un paperboard. Ensuite, se donner le temps (plusieurs heures, et selon les cas : plusieurs jours, plusieurs semaines), enfin suivre un processus graduel, en trois étapes.
Posons, pour la démonstration, une question de société, source d'opposition à coup sûr : faut-il arrêter le nucléaire ?
L'étape 1 proposée par Patrick Viveret consiste à réduire l'opacité des termes du sujet. Il s'agit de lever les malentendus, de s'entendre sur le sens des mots (ici le nucléaire), de laisser les personnes exprimer leurs ressentis, de lever les incompréhensions avant de passer à l'étape 2. Pour libérer les émotions, les interprétations, Patrick Viveret propose aux participants le jeu des « quatre coins ». L'assemblée se lève et se répartit selon ses affinités avec le « nucléaire ». Dans le premier coin : « ceux qui se sentent bien avec ce mot » ; dans le deuxième coin : « ceux qui ne se sentent pas bien avec ce mot », dans le troisième coin : « ceux qui sont mitigés », dans le quatrième : « ceux qui sont « sans avis » ». Étonnamment, il suffit que l'animateur demande aux participants de se positionner sur « énergie nucléaire », pour que la géographie change. Certains mitigés vont prendre position. Les « contre » peuvent se retrouver du côté des « pour ». L'objectif de l'animateur est de favoriser au maximum les changements de posture. Ce jeu va ainsi susciter l'écoute chez les participants, éveiller leur curiosité. Mentalement, par cette séance de découverte, les gens vont imprimer les réticences et les arguments des autres, et déjà élargir leur champ de vision. « On ne sort pas des conflits de croyance, quand on n'a pas compris la croyance » commente l'animateur.


Libérer les idées

L'étape 2 vise, encore plus que dans la première phase, à dissoudre le phénomène de clans. Tous les participants ne doivent plus avoir qu'un seul et même objectif : faire le tri entre les points d'accord et de désaccord. Pour ce deuxième temps, Patrick Viveret propose un débat entre un « pronucléaire » et un « antinucléaire ». Deux volontaires énoncent un argument l'un après l'autre. « On peut changer de débatteurs au cours du débat, si l'affect prend le dessus. C'est d'ailleurs mieux, surtout si certains sont très identifiés à leur positionnement » explique Patrick Viveret. Les participants sont en cercle autour d'eux et sont également actifs. Chacun est muni d'un jeu de cartons pour intervenir. Le carton vert signifie : j'ai une proposition à faire, le blanc : j'ai une question ; le rouge signale : je pense que quelque chose bloque le débat...
Le co-animateur note les points de désaccords, les points d'accords, et aussi les points qui posent question où manifestement l'information manque encore aux uns et aux autres...
Exemple avec la question : « Faut-il arrêter le nucléaire ? ». Dans la colonne « accords » : on note « économies de ressources fossiles ». Dans la colonne « désaccords » : on note « les risques » (pas perçus de la même manière). Dans la troisième colonne : « Point d'accord sur les besoins de plus d'informations », on note par exemple que les deux camps voudraient savoir « où en est l'état du débat sur le nucléaire dans les autres pays... »


Dépassement dynamique

L'étape 3 requiert un certain effort intellectuel, car il faut repérer, reconnaître les points forts de l'autre camp (sans pour cela renoncer à ses propres perceptions...). La configuration ne change pas, les débatteurs sont au centre. L'assemblée doit toujours être participative. L'animateur se tourne d'ailleurs d'abord vers elle et interroge les « pro » puis les « antinucléaires » (ou inversement), et leur pose cette même question : « Qu'est-ce qui doit absolument être pris en considération dans le point de vue que vous ne partagez pas ? » Cette phase est parfois propice à de nouveaux changements de posture. Elle donne, en tous les cas, lieu à un dépassement dynamique. Jean-Luc Berger, coach professionnel, commente ce qui se joue ici : « Dans cet échange s'effectue une valorisation réciproque des différents points du débat [...] Cette phase n'a pas nécessairement pour objectif d'effacer le désaccord - même si cela peut se produire. On cherche à ce que le désaccord final soit qualitativement meilleur ». Enfin, comme tout le processus a été tracé, organisé sur le papier, au cas où une décision peu heureuse serait prise au final (et malgré tout), le débat ne serait pas complètement à refaire ! Le groupe disposerait déjà d'« une banque de données alternatives », selon l'expression de Patrick Viveret.


Note

1. Créateur de la monnaie alternative SOL, co-fondateur de « Dialogues en Humanité » du collectif « Pacte Civique », « Roosevelt 2012 »...


Désaccords : notre pain quotidien

Un groupe d'individus qui veut agir ensemble, achoppe tôt ou tard sur la gestion des désaccords, du fait de personnalités, de culture, de points de vue et d'aspirations qui diffèrent... « Dans ma copro, dans ma vie associative, dans mon métier : on s'écharpe ! » lance une participante venue à la formation « La construction des désaccords », en version accélérée (5 heures), animée par Patrick Viveret et Cécile Poret. Une trentaine de personnes a répondu présent à l'organisation de cette formation par le Pacte Civique Isère.
Le tour de table continue : un autre participant fait part de ses attentes : « Comment pouvoir aborder les sujets sensibles en réunion, sans que les passions se déchaînent ? ». Une autre est DRH : « j'ai découvert récemment la communication non violente ». Elle met en pratique cet outil dans son travail, mais apparemment, cela ne suffit pas... Un autre est syndicaliste et se plaint de la mauvaise foi de ses interlocuteurs. Un président d'association demande : « comment faire pour que les réunions ne traînent pas en longueur, que l'on aboutisse à une prise de décision ? ». Quel que soit le contexte (associatif, entreprise, collectivité, famille) reviennent invariablement deux manières classiques de se débarrasser des désaccords. L'option hypocrite : personne ne veut fâcher personne, on choisit une solution qui fait consensus mais qui génère de la frustration, du non-dit, qui éclatera un jour ou l'autre... Ou l'option « on va au clash » : le rapport de force est ouvert, des camps se montent les uns contre les autres. Non seulement le projet risque de capoter, mais la synergie du groupe en prend un coup.


Docdoc

À lire
Sur www.lettreducadre.fr, rubrique « au sommaire du dernier numéro » :
- « La force de l'intelligence collective », La Lettre du cadre n° 449, 15 septembre 2012.
- « Osons l'intelligence collective dans les territoires », La Lettre du cadre n° 418, 15 mars 2011.

En savoir plus
Lire l'Annexe II : « Construisons nos désaccords pour faire de nos différences un atout » du livre Pourquoi ça ne va pas plus mal ?
de Patrick Viveret.