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La Lettre du Cadre Territorial

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Vidéosurveillance ou vidéoprotection, à chacun son opinion

Article du numéro 453 - 15 novembre 2012

Interview

Les dispositifs de vidéosurveillance se sont multipliés ces dernières années. Opportunité pour améliorer notre sécurité selon certains. Pour d'autres, les bénéfices ne sont pas avérés, et les effets négatifs pourraient même être dominants. Le point de la question avec les auteurs de « Vidéosurveillance ou vidéoprotection ».

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Anne-Cécile Douillet est professeur de science politique à l'université Lille 2 et chercheur au Ceraps (CNRS-Lille 2).

Éric Heilmann est professeur à l'université de Bourgogne à Dijon. Il est membre du laboratoire de recherche en sciences de l'information et de la communication Cimeos.

Philippe Melchior est retraité. Inspecteur général de l'administration, il a été chargé par le gouvernement en 2007, après une première évaluation en 2005, de préparer un plan de développement de la vidéosurveillance, puis de conduire sa mise en œuvre.

Séverine Germain est docteur en science politique et chercheur associé au CNRS. Elle a travaillé sur les politiques locales de sécurité en Italie et en France (Grenoble et Lyon notamment).


Comment est-on passé de la vidéosurveillance à la vidéoprotection ?

Anne-Cécile Douillet et Séverine Germain : Les législations successives témoignent de l'évolution de la position de l'État français face à la vidéosurveillance depuis les années 1990, en particulier en matière de vidéosurveillance de la voie publique. De la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité (LOPS) de 1995 - qui définit un cadre juridique à l'installation de caméras de vidéosurveillance - à l'institutionnalisation de la vidéoprotection par la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI 2) de 2011, l'État a progressivement troqué son rôle de régulateur pour celui de promoteur actif de l'outil. C'est l'article 10 de la LOPS qui définit un régime juridique spécifique à la vidéosurveillance - dans les lieux ouverts au public, la vidéosurveillance est régie par un régime d'autorisation préfectorale préalable. La loi prévoit différents motifs d'installation, dont la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés. Cette réglementation encadre donc la vidéosurveillance, mais légitime aussi des installations dont la légalité était jusque-là discutée, certains tribunaux considérant avant 1995 que seules les caméras visant à la régulation du trafic étaient légales. Un rapport demandé en 2005, suite aux attentats de Londres, conduit à la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme. Le risque terroriste devient un motif susceptible de justifier l'installation d'un dispositif de vidéosurveillance, l'État pouvant même l'imposer aux communes. Si la loi de 2006 marque une implication accrue de l'État dans le développement de la vidéosurveillance de voie publique, celui-ci se pose en véritable promoteur avec la loi « relative à la prévention de la délinquance » du 5 mars 2007, d'autant que celle-ci s'accompagne d'objectifs chiffrés, avec le triplement prévu du nombre de caméras de voie publique d'ici fin 2012 (de 20 000 à 60 000). Pour parvenir aux objectifs annoncés, l'État aide les communes à financer de nouveaux systèmes. La LOPPSI 2 favorise encore la diffusion de la vidéosurveillance en allongeant la liste des motifs possibles d'installation. Sur un plan plus symbolique, elle a systématisé l'emploi du terme vidéoprotection en lieu et place de celui de vidéosurveillance dans les documents administratifs et les panonceaux annonçant la présence de caméras sur la voie publique. Cette modification vise à détacher l'installation de caméras de l'idée de surveillance, qui peut être perçue négativement, pour l'associer à celle de sécurité, plus rassurante.


À quoi attribuer la quasi-absence d'opposition rencontrée par la mise en place du réseau de caméras de surveillance dans l'espace public ?

afari (1), le plan d'équipement du gouvernement qui encourage l'interconnexion des systèmes publics de vidéosurveillance n'a pas suscité la moindre réaction parmi les élites politiques (partis, syndicats ou autres).
À l'exception de quelques minorités militantes bien informées, comme la Ligue des droits de l'homme ou le collectif ''Souriez, vous êtes filmés'', l'opposition à la présence de caméras de surveillance dans l'espace public est quasiment inexistante. Le déploiement de ces dispositifs semble plutôt soutenu par la population ou la laisse indifférente, une indifférence qui s'exprime notamment dans cette formule fameuse : « les caméras ne m'inquiètent pas car je n'ai rien à me reprocher ».
Pour expliquer ce phénomène, plusieurs motifs ont été avancés : le sentiment d'insécurité de la population, la communication politique efficace du gouvernement, l'influence croissante des marchands de biens de sécurité rompus aux techniques du marketing. On en ajoutera un autre qui tient à la nature même du dispositif technique : contrairement aux pratiques classiques de fichage (qui vise toujours des catégories précises de population), les caméras filment toutes les personnes qui entrent dans leur champ de vision, sans distinction. La surveillance est généralisée et passe finalement inaperçue.
Une autre caractéristique de la vidéosurveillance est son incroyable plasticité. Elle est susceptible d'intégrer tous les lieux, tous les territoires de la ville pour capter des images de ceux qui les occupent ou les fréquentent. Toutes les fonctions sociales (logement, éducation, commerce, santé, travail, etc.) sont concernées par l'exploitation des images produites par la vidéosurveillance. Et l'offre sur le marché des équipements et des services est pléthorique... Cette panoplie quasi illimitée d'usages - qui va de la surveillance des réacteurs d'une centrale nucléaire à celle de la cage d'escalier dans un habitat collectif - a conduit à une banalisation de la technique et surtout à sa diffusion en dehors du cercle habituel des agences (publiques ou privées) en charge du maintien de l'ordre, à tel point que sa finalité première - éminemment sécuritaire - a fini par se diluer parmi d'autres (assistance visuelle, gestion des flux, aide à la décision, etc.).
Cette évolution est particulièrement tangible dans les discours des collectivités locales qui jugent parfois utile de justifier les investissements engagés pour s'équiper. La réalité des pratiques montre aussi que les exploitants savent faire preuve d'imagination pour réinventer des usages afin de maximiser l'exploitation de leurs équipements.
Philippe Melchior : La faiblesse de l'opposition me paraît assez normale. Des images permettent d'identifier un délinquant de manière sérieuse et de réprimer. Or, chacun sait que si le risque d'être identifié et condamné est clair et grand, il y aura un certain effet dissuasif. Il est donc normal que les Français, comme tous ceux qui ont le souci de leur sécurité, y soient favorables - en particulier là où ils ont conscience de courir un risque d'insécurité. Ils trouvent d'ailleurs normal que ce qui se fait sur l'espace public soit vu. En France, je pense que les précautions prises par la loi, les autorisations et les contrôles rassurent nos compatriotes sur le caractère limité des risques de dérapage d'un instrument dont ils savent bien qu'il présente une certaine utilité.


Notes

1. La révélation dans les années soixante-dix, d'un projet du gouvernement d'identifier chaque citoyen par un numéro et d'interconnecter tous les fichiers de l'administration créa une vive émotion dans l'opinion publique. Ce projet, connu sous le nom de Safari, conduisit le gouvernement à instituer une commission auprès du garde des Sceaux afin qu'elle propose des mesures tendant à garantir que le développement de l'informatique se réalisera dans le respect de la vie privée, des libertés individuelles et des libertés publiques.


Docdoc

à lire
Sur www.lettreducadre.fr, rubrique « au sommaire  du dernier numéro » :
Vidéosurveillance : deux villes de gauche, deux réponses, La Lettre du cadre n° 409, 15 octobre 2010.

Pour aller plus loin
« Réussir la vidéoprotection dans sa ville » (réf. DE688, 122 pages, version papier : 70 e, version numérique : 50 e, édition juil. 2011), un ouvrage de la collection Dossiers d'Experts des éditions Territorial http://librairie.territorial.fr

Formations d'Experts
Vidéoprotection et LOPPSI 2 à Paris le 26/11
Plus d'informations au 04 76 65 61 00 ou par e-mail formation@territorial.fr


Verbatim

« La vidéoprotection est un outil dont l'utilité ne vaudra que ce que les hommes en feront. L'introduction d'une technique suscite des réserves souvent légitimes et appelle des précautions. La vidéoprotection comme les autres. » Philippe Melchior

« Assez curieusement, le débat public ne porte, s'agissant d'efficacité, que sur l'effet de la vidéo sur la délinquance. Personne ne semble avoir de doutes sur les dispositifs de lecture automatisée de plaques d'immatriculation pour réglementer la circulation ; personne ne souhaite examiner la contribution de la vidéo pour éviter des accidents, ni ne conteste son apport en matière d'éducation. » Philippe Melchior

« À mon sens, ce n'est pas l'utilité de la vidéosurveillance, mais sa nécessité qui devrait être démontrée avant d'être installée sur la voie publique. Aujourd'hui, malheureusement, elle est conçue par de nombreux élus et habitants comme la première mesure de protection - encouragés en cela par le ministère de l'Intérieur -, alors qu'elle devrait être pensée comme un dernier recours. » Éric Heilmann


 
 
 
 

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