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Culture : un levier face à la crise

Article du numéro 439 - 15 mars 2012

Interview

La crise n'épargne pas la culture. Mécènes et donateurs réduisent leurs apports, tout comme les États et les collectivités locales. À rebours de cette tendance, une étude de Kurt Salmon l'affirme : c'est le moment d'investir. La culture change de statut et est aujourd'hui considérée comme un investissement générateur de retombées positives, tant pour l'économie d'un territoire que pour l'ensemble de la société. Explications avec Jean-Pascal Vendeville qui a dirigé l'étude.

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Jean-Pascal Vendeville dirige les activités de conseil dans le domaine de la culture et du tourisme au sein du cabinet Kurt Salmon. Il est coauteur de plusieurs études internationales sur la culture, l'attractivité des territoires et le développement économique, dont en 2011, Entreprendre et investir dans la culture : de l'intuition à la décision, qui s'intéresse aux modèles de décision liés à l'investissement dans un projet culturel. (1)


La crise impacte l'ensemble des activités économiques et vous appelez à investir dans la culture. N'est-ce pas un peu optimiste ?

Ca pourrait l'être en effet, si les chiffres ne montraient pas qu'en dépit d'un environnement sous tension, la consommation culturelle augmentait et l'offre culturelle disponible explosait. Comme si la culture pouvait devenir un élément de réponse aux interrogations des citoyens ou des consommateurs, plus encore dans ce contexte de crise. Économiquement, le poids du secteur s'amplifie partout dans le monde. Au sein de l'UE par exemple, il employait en 2005, 7,2 millions de personnes, soit 3,1 % de la population active totale et représentait 654 Md d'euros de PIB, soit 2,6 % du PIB global ; c'est plus que ce qui est généré par l'industrie des plastiques. Et ce phénomène se ressent encore d'avantage dans le reste du monde. Cet essor trouve une part de son origine dans l'élargissement du périmètre de la culture à des disciplines nouvelles. Après le graphisme et le design, l'intégration du jeu vidéo en 2009 ont démontré la capacité du secteur à intégrer la nouveauté de la culture vivante. Parallèlement, Internet a élargi les modes d'accès à la culture, devenant un moyen de renouveler les pratiques culturelles, et induit la production d'une offre de contenus en progression constante. La Commission européenne a ainsi calculé que la numérisation des collections - livres, objets... - de tous les établissements culturels publics d'Europe représente un investissement de 100 Md d'euros sur 10 ans.


La culture ne serait donc plus considérée comme une dépense improductive ?

En 1985, lorsqu'a été lancé le concept de Capitale européenne de la culture, les candidatures ne se pressaient pas. Aujourd'hui, elles affluent par dizaines. De même, rares étaient ceux à parier sur la capacité de Bilbao - victime de la crise de la sidérurgie - de renaître grâce à un plan de revitalisation urbaine, avec en son c½ur un musée. Ils avaient tort : les 132 M d'euros investis dans le projet ont été amortis dès la première année, puisque les dépenses directes réalisées par les visiteurs ont permis d'augmenter le PIB de la ville de 144 M d'euros. Dix ans après, l'effet de levier s'amplifie et c'est désormais 210 M d'euros que procure chaque année le Musée Guggenheim à la ville. Aujourd'hui, le Centre Pompidou s'installe à Metz et Le Louvre à Lens, ancienne ville minière classée neuvième plus pauvre de France. La culture a prouvé qu'elle pouvait contribuer à la dynamique de l'économie d'une ville ou d'une région, au point de devenir un élément significatif de l'attractivité des territoires pour les entreprises. Et les effets positifs de ces investissements culturels dépassent largement la sphère économique ; ils deviennent aussi de vrais catalyseurs de créativité, ce qui influe sur l'ensemble de la société.


Les modes de fonctionnement des décideurs publics et privés ont donc évolué ?

Les acteurs évoluent dans un sens convergent. Réfléchir d'abord en termes économiques est aujourd'hui, dans le public comme dans le privé, le mode de décision dominant en matière d'investissement culturel. Les acteurs privés mettent en avant la cohésion sociale et la création du lien social dans les projets, et l'importance de la culture dans l'environnement est reconnue tant par le privé, qui l'utilise comme levier pour recruter et fidéliser ses collaborateurs, que dans le public pour proposer un cadre de vie agréable. Cette meilleure compréhension entre public et privé conduit à des logiques de coopération plus étroites.


L'étude pointe l'importance d'une gouvernance adaptée à la conduite des projets culturels. Quelles en sont les conditions ?

Qu'il s'agisse d'une action de niche ou de grande envergure, les projets impliquent des acteurs souvent nombreux et divers, publics et privés. D'où la nécessité d'une gouvernance exemplaire. Un premier impératif réside dans la définition d'une méthodologie permettant d'aboutir à des objectifs partagés. Il faut également établir un lien étroit entre la gouvernance et le management, afin de « garder le cap » et passer le plus rapidement possible de la décision à l'action. Cette gouvernance doit aussi permettre de surmonter les difficultés liées au « temps long » de l'initiative culturelle qui peut être source d'incompréhension pour les contributeurs. Car entre la décision, puis l'investissement initial, et la perception de leurs impacts, s'écoulent parfois jusqu'à une dizaine d'années. L'épineuse question de l'évaluation est aussi à prendre en compte : évaluer les retombées d'un projet culturel reste difficile car il s'inscrit toujours dans une logique de prototype. Il est difficile dans ce cas de se référer à une grille de lecteur unique.


Investir certes, mais les moyens ne risquent-ils pas de manquer ?

La tendance des financeurs publics à réduire leurs engagements à cause de la crise et la réorientation du mécénat classique vers la santé et l'éducation nécessite de trouver de nouvelles sources de financement. Des pistes existent. Le Festival d'Aix-en-Provence - autofinancé à hauteur de 65 % - a ainsi créé un club d'entreprises régionales pour pallier la baisse de subsides privés. Des collectifs contribuent au financement de projets boudés par les financements traditionnels ; c'est le cas par exemple de My Major Company pour la musique ou de People for Cinema dans la production cinématographique. On peut aussi imaginer, sur le principe des mécanismes de l'épargne solidaire, de collecter et orienter l'épargne du grand public et l'épargne salariale des entreprises, vers des projets culturels. Dans l'étude, nous proposons trois outils de placement : souscrire un placement d'épargne solidaire auprès de sa banque dont une partie des fonds sera investie dans un projet culturel ; souscrire, via une banque, à un produit d'investissement dont une partie des intérêts produits sera reversée, sous forme de don, à une structure culturelle ; souscrire directement au capital d'un financeur culturel : 100 % de l'épargne est alors investie dans des projets à fort impact culturel ou/et dans la prise de participations au capital ou/et l'émission de prêts à des sociétés du secteur des industries culturelles.


Vous proposez également de prendre en compte « l'empreinte culturelle ». De quoi s'agit-il ?

La méthodologie a été conçue et développée par Diversum, agence de notation des entreprises. L'idée est de mesurer la contribution d'un acteur - public ou privé -- à l'environnement culturel dans sa diversité. Dans le domaine du développement durable, la mise en place de dispositifs législatifs et réglementaires, assortis d'indicateurs objectifs, a permis d'orienter l'action des entreprises et des acteurs publics dans ce domaine. On peut considérer qu'un dispositif analogue déterminant la notion d'« empreinte culturelle » permettra d'accélérer les investissements des acteurs publics et privés dans les projets culturels. Par ailleurs, « l'empreinte » deviendrait un élément de communication, intégré dans le bilan social des entreprises et des institutions. Elle fournirait, via des indicateurs de performance objectifs, une information sur le niveau et la qualité d'engagement de l'acteur sur son environnement culturel. Un tel cadre permettrait de valoriser objectivement les actions culturelles, ce qui rassurerait les investisseurs potentiels et faciliterait leur prise de décision.

(1) L'étude s'appuie sur des entretiens avec une soixantaine de décideurs publics et privés (opérateurs culturels, porteurs de projet, artistes et créateurs) portant sur les retours d'expérience de 45 projets dans une vingtaine de pays, dont, pour la France, le Festival d'Aix-en-Provence, Lille capitale européenne de la culture, le centre Pompidou-Metz, le Grand Versailles numérique...
À télécharger sur : http://www.kurtsalmon.com/wp-content/uploads/bd-KS-Etude-Forum-Avignon-FR23.pdf