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Rue Gustave Goublier

Article du numéro 429 - 01 octobre 2011

Repères

Et si les petits changements étaient aussi compliqués à réaliser que les grands ? Cette histoire locale montre que l'appropriation collective de l'espace public ne va pas sans des échanges de paroles.

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Cette rue était encore il y a peu une rue banale de Paris : des bâtiments du 19e siècle, des commerces, des logements au-dessus, sept places de stationnement occupant la moitié de la chaussée, des trottoirs trop étroits pour les piétons. Ce n'était une rue ni pour les enfants ni pour les personnes âgées !


Une rue banale ?

Pas tant que cela. Peut-être même emblématique de la société française. Les commerces sont tenus par des coiffeurs noirs avec leur propre mode de vie. Les pas-de-porte sont occupés la journée par des personnes qui discutent. Les résidents sont blancs. Ils rentrent le soir et pratiquent les lieux le week-end, ou plutôt la chaussée étant donné le peu de place disponible. La rue fait caisse de résonance. Toute discussion bruyante tardive est donc mal vécue par les résidents.
Elle accueille des dealers, à l'abri entre les voitures. Le soir, des prostituées y attendent le client quand elles n'exercent pas dans une montée d'escaliers. Et sous un porche par lequel on y accède : un urinoir sauvage, un dépôt d'encombrants, le couchage de SDF... Diverses manières de vivre se chevauchent et se contredisent dans l'espace public qui devient le lieu où s'expriment les tensions de notre société. Mais s'y expriment aussi les envies de trouver des valeurs, des moyens pour qu'elle fonctionne mieux.


Face au sentiment d'abandon

Les réclamations individuelles de riverains excédés ne trouvaient aucune réponse. Quelques-uns d'entre eux décidèrent en septembre 2010 de monter une association, l'« Aargg » et prirent contact avec la mairie d'arrondissement pour que des solutions soient trouvées. La police, les services de la ville furent rencontrés : Voirie, Propreté, Espaces verts. La bonne volonté était générale mais les difficultés étaient réelles face à la complexité des problèmes.

Deux orientations furent prises par l'association, fondées sur des valeurs capables de rassembler plus que d'opposer. La première : créer des liens entre les acteurs de la rue. Un vide-greniers, des événements, des échanges d'information avec les salons de coiffures furent organisés.

La deuxième : décider que la rue devait être un lieu de vie agréable, avec de l'espace. Plutôt qu'un projet ficelé et non financé, elle a obtenu sans aucuns travaux à court terme, que l'on viderait la rue des autos pour en faire un lieu ouvert à tous. Durant les six mois à venir on testerait les usages de l'espace. Seuls une poubelle et des potelets ont été posés à chaque extrémité de la rue.


Le constat

Il montre que tout le monde est également gêné par des attitudes délictueuses, par la prostitution, les odeurs, le manque de confort... Mais il n'y a pas d'espace aux sens propre et figuré pour l'exprimer. Que peu à peu des échanges se sont créés qui aident à connaître les individus, avec leurs pensées, leurs désirs... (Fallait-il une rue pour le redécouvrir ?) Que la rue redevenait assez propre le soir, étant plus aisée à nettoyer. Que des pratiques urbaines complexes se sont créées dans l'espace. Que les services urbains, les artisans, les pompiers, les déménagements sont plus faciles à assurer. Que le problème de la prostitution ne se règle localement qu'au prix d'un déplacement ailleurs. Qu'aucun thème ne peut être pris isolément : la propreté, le confort et la vie locale vont avec le départ des voitures, l'appropriation collective va avec des échanges de paroles...

Dans cette histoire locale qui continue de s'écrire, peut-être peut-on dire qu'une société locale ne doit pas se contenter de l'espace qu'on lui donne ou lui impose, mais qu'elle doit participer à sa propre valorisation, au-delà de prises de position générales. Reste le danger de la gentrification. Mais c'est une autre histoire, une affaire à suivre...