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Permis de construire : le chantage au recours

Article du numéro 418 - 15 mars 2011

Urbanisme

De plus en plus, les permis de construire font l'objet de recours quasi systématiques devant le juge administratif. C'est notamment vrai dans les grandes agglomérations et lorsqu'ils concernent l'édification d'immeubles collectifs. C'est un véritable chantage au recours. Car la longueur des procédures permet souvent de bloquer les projets de constructions pendant des années... sauf si le constructeur cède aux exigences des requérants.

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Le contentieux des permis de construire devant le juge administratif devrait, en théorie, pouvoir se résumer de manière simple : le droit légitime pour les voisins d'un projet de construction de s'assurer que celle-ci se fait dans le respect des dispositions réglementaires et celui, tout aussi légitime, des constructeurs, de pouvoir réaliser leurs projets dans le respect... des mêmes dispositions réglementaires. La réalité est tout autre.


D'un droit légitime à un véritable racket

Les objectifs poursuivis par les requérants peuvent être divers, même s'ils se traduisent tous par la contestation du permis de construire devant le juge administratif au regard de la véritable épée de Damoclès qu'un tel recours fait peser sur le constructeur.

En effet, bien qu'un recours contentieux devant le TA n'ait aucun effet suspensif en droit (hors les cas où le juge, saisi en ce sens, aurait ordonné la suspension dudit permis), la réalité économique des projets est bien différente. Des constructeurs, particuliers, promoteurs privés ou bailleurs sociaux, ne peuvent s'engager dans un projet immobilier d'importance avec le risque que constitue un recours contentieux. Deux raisons à cela. Tout d'abord, le constructeur ne peut prendre le risque de voir son projet remis en cause en cours de construction, ou pire, après achèvement, et d'autre part, les financeurs du projet n'accepteront de suivre l'opérateur que si le projet est purgé de tout recours.

Force est de constater que d'un droit à contester une autorisation de construire, on passe trop facilement à un véritable chantage. La menace d'exercer ou maintenir un recours contentieux contre le permis de construire se monnaye : soit contre des aménagements particuliers censés permettre d'améliorer « l'acceptabilité » du projet (accès nouveaux, portail, travaux de végétalisation, travaux divers...), soit purement et simplement contre de l'argent. La somme peut alors atteindre des montants très importants : plusieurs dizaines, voire centaines de milliers d'euros en fonction des enjeux du projet et de la « gourmandise » du demandeur.

D'une contestation légitime d'un projet venant perturber des habitudes ou l'environnement des requérants, on aboutit à un véritable racket dont la victime est le constructeur, alors que celui-ci jouit pourtant, lui aussi, d'un véritable droit à construire reconnu par la loi.


Le pari de la lassitude

Ainsi, hors les cas où le permis de construire présente effectivement des irrégularités au regard du droit de l'urbanisme en général, et des documents d'urbanisme locaux en particulier, et pour lesquels l'objectif poursuivi est bien l'annulation d'un permis de construire illégal, on trouve bien d'autres motivations moins avouables.
La première, pour le requérant, conscient de cette « suspension de fait » et que la procédure administrative (TA, CAA, Conseil d'État) pourra durer de nombreuses années, est souvent de simplement retarder la réalisation effective du projet. Il s'agit de préserver son environnement et sa tranquillité (la construction de logements à caractère social étant souvent, à demi-mot, invoquée comme source de nuisance...), voire d'espérer que le constructeur jette l'éponge, par lassitude.

La seconde est parfois de purement et simplement « confondre », plus ou moins sciemment, l'action civile et l'action administrative. Le requérant n'a ici aucun grief particulier à l'encontre du permis de construire du point de vue de sa légalité. Ce qu'il conteste, ce sont les nuisances que ce projet est susceptible d'apporter à son cadre de vie. Au lieu de rechercher une hypothétique indemnisation du prétendu préjudice subi devant le juge civil, le requérant pourra préférer saisir le juge administratif, afin de pousser le constructeur « à se mettre autour de la table » afin de déterminer dans quelles conditions ce « préjudice » pourrait être réparé ; en nature ou par une compensation financière.

La troisième, jamais avouée et pourtant bien réelle, est une variante de la précédente. Le requérant, arguant d'un prétendu préjudice de jouissance ou d'une dévalorisation de son bien du fait du projet de construction, fort du pouvoir de nuisance de son recours devant le juge, entend purement et simplement monnayer son recours. Le procédé est illégal et même mafieux, mais souvent habilement déguisé sous le prétexte d'une juste réparation d'un préjudice. Le constructeur en est réduit à voir son projet paralysé ou alors à céder au chantage des requérants, quand bien même le permis de construire serait parfaitement régulier en droit, ce que le juge administratif ne confirmera que plusieurs années après... sans compter un éventuel appel au recours en cassation.

Il y a ici, une totale confusion (souvent bien comprise et même entretenue par un requérant sans doute « bien » conseillé) entre le rôle du juge administratif et celui du juge civil. Le premier n'a à connaître que de la légalité de l'autorisation de construire, délivrée sous réserve du droit des tiers. Le second devrait avoir, seul, à connaître de la question de l'éventuelle réparation des préjudices subis par le requérant du fait du projet de construction (perte de vue, d'ensoleillement, de valeur...). Mais les requérants, pragmatiques, ont compris que l'efficacité de leurs démarches ne passe pas par une saisine du juge judiciaire : la réalité des préjudices subis est rarement reconnue par le juge civil et encore plus rarement à hauteur des espérances des intéressés... Le blocage du projet passe bien par la saisine du juge administratif qui se trouve ainsi instrumentalisé.


Comment en sortir ?

Le juge Halphen avait pu parler « de nouvelle forme de corruption » pour qualifier les recours abusifs contre les permis de construire. La formule pourrait paraître excessive, elle correspond pourtant à une réalité non admissible.

Face à cette situation, il reste à concilier le droit des tiers à contester une autorisation de construire, ce qui ne saurait être remis en cause, et le légitime droit des constructeurs à réaliser leurs projets dans des délais raisonnables et dans des conditions économiques normales, sans avoir à payer une véritable rançon aux voisins mécontents de voir leur environnement perturbé par des projets pourtant légalement autorisés. On notera ici que cette situation ne touche pas seulement les promoteurs privés, taxés, de manière caricaturale, de vouloir réaliser des profits à tout prix. Les bailleurs sociaux en sont aussi victimes, avec pour conséquence le retard pris par de nombreuses communes à respecter leurs obligations en matière de construction de logements sociaux...

Dans son rapport d'information (Sénat, n° 265, Session 1999-2000), le sénateur Louis Althapé faisait déjà valoir que « l'urbanisme est le terrain d'élection de bon nombre de recours manifestement abusifs intentés par des requérants assurés de la plus large impunité ». Mais depuis, peu de chose a changé. Malgré le rapport Pelletier (1) le juge administratif répugne toujours « à infliger une amende même d'un montant modeste » (3 000 euros maximum - Article R741-12 du CJA) aux auteurs de recours abusifs.

On peut craindre que l'obligation d'une consignation (2) par les requérants dans les quinze jours suivant le dépôt de leur requête soit peu dissuasive au regard des enjeux financiers en cause, même si cela est un premier pas dans le bon sens. Mais malheureusement, le gouvernement ne semble pas enclin à donner une suite favorable à ces propositions (3).

Reste la possibilité pour les constructeurs d'engager une procédure pour réparation de leurs préjudices devant le juge civil (4), mais ce dernier reste, lui aussi, frileux dans ses condamnations. Et il n'intervient que lorsque le « mal est fait » ; c'est pourtant peut-être en « frappant au porte-monnaie » que l'on sera le plus efficace.

1. Rapport Pelletier, « Propositions pour une meilleure sécurité juridique des autorisations d'urbanisme » remis au Garde des Sceaux, janvier 2005.
2. Proposition de loi n° 1500 (sénateur Roland Blum) du 4 mars 2009 et n° 141 (députés Gautier et autres) du 30 novembre 2010.
3. JOAN, 5 janvier 2010, n° 49902, page 165.
4. CA, Aix-en-Provence, 1re Civ. 18 décembre 1991, Groupement de défense des propriétaires fonciers de Tourettes-sur-Loup.


« Faire face aux pressions avec des élus médiateurs »

Arnaud Delannay, directeur général SA HLM Notre Logis
adelannay@notre-logis.fr


Récemment, lors d'une réunion publique, le voisin d'une opération mixte (promotion et social) a annoncé dès le début de la réunion qu'il exercerait « tous les recours possibles pour bloquer le projet ». Après cette affirmation, la création d'une association était annoncée « parce que derrière l'association, nous ne prenons pas de risques personnels ». Courageux, mais pas téméraire !
Ce type de situation est malheureusement courant, notamment lorsque du logement social est en jeu (le fameux syndrome NIMBY : Not in My Backyard, pas dans mon jardin). Dans ces cas, nous devons malheureusement attendre que les recours soient purgés.
Notre atout : les élus sont souvent de bons médiateurs dans ce type de situation. Surtout lorsqu'ils privilégient la mise en avant de l'intérêt collectif d'un aménagement ou d'une liste de demandeurs de logements. Mais avant les élections, les médiateurs sont plus prudents...


DocDoc

Pour aller plus loin
« Le permis de construire- Guide de l'instructeur », un ouvrage de la collection Classeurs des éditions Territorial. Pour en savoir plus : http://librairie.territorial.fr