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Le jeune fonctionnaire, cet étrange animal

Article du numéro 415 - 01 février 2011

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De jeunes fonctionnaires à des postes de responsabilité ? Vous plaisantez ! Pourtant, ça existe : à 25 ou 30 ans, ils sont DGS, DGA, directeurs de service, DRH, chargés de missions... Leur intégration dans la collectivité ne se fait pourtant pas sans heurt. Le choc des générations, des valeurs et des envies est en effet parfois grand.

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À 36 ans, Yoann Zotna n'est plus si jeune, mais assez pour ne pas souffrir du syndrome du « c'était mieux avant ». Directeur du centre archéologique départemental de la Somme, il est entré dans la Territoriale en 2003. Sur les plus jeunes que lui, il porte un regard sans concession, aussi admiratif que critique. « Leur niveau de formation est de plus en plus élevé. Les candidatures que j'ai examinées sont de très bonne qualité. Mais les jeunes ont aujourd'hui des attentes qu'ils estiment légitimes. Ils sont plus exigeants, plus regardants sur les conditions matérielles, le volume horaire de travail et les conditions salariales. Cela me choque un peu. C'est un peu comme mettre les droits avant les devoirs. »

Les entreprises et les spécialistes du management connaissent bien ces attitudes. Les jeunes salariés, 25 à 30 ans, sont parfois décrits comme râleurs, impatients, impertinents. Un panel de DRH1 a même classé les difficultés le plus souvent rencontrées avec eux. Dans l'ordre, on retrouve : le micro-absentéisme, le non-respect de la confiden­tialité des informations, le déclenchement plus rapide et fréquent des litiges, le manque d'attirance pour la fonction de manager et le non-respect des codes sociaux traditionnels. Rien de moins !

Ces différences de comportement peuvent s'expliquer : un contexte économique et social marqué par la précarité a assez durement frappé cette génération née avec internet et élevée à la société de consommation. De ces mouvements de fond qui traversent notre société, la FPT n'est pas protégée. Comme le montre notre rencontre avec une dizaine de jeunes cadres, contractuels et titulaires.


Chef de projet plutôt que chef d'équipe

Premier étonnement : être jeune n'est a priori pas un handicap dans la Territoriale. Au contraire, leur impression générale est que la FPT responsabilise plus fortement les jeunes cadres que les entreprises privées. Pourtant, même bardé de diplômes et auréolé de la réussite du meilleur des concours, un jeune cadre n'est pas forcément très à l'aise face à des agents plus âgés et forts d'une longue expérience de la collectivité. « J'avais 24 ans, se souvient Célia Simon, aujourd'hui 31 ans et chargée de mission à la ville de Paris. C'était ma première semaine de travail. J'encadrais une jeune femme, la trentaine. En entrant dans son bureau, je l'ai entendue qui disait au téléphone « ma chef arrive ». Je me suis retournée pour voir qui était derrière moi ! »

Bien sûr, on y rencontre, comme ailleurs, quelques râleurs. « Il y a en a toujours qui vous disent qu'ils font les choses comme cela depuis 15 ans... sous-entendu que ce n'est pas la première jeunette qui va leur apprendre leur métier, explique Prescillia Barberon, 25 ans et chef de service à Sartrouville. Moi, je ne relève jamais ce genre de remarque. Je replace juste la question sur le plan technique en mettant en avant mes compétences. »

Dans l'ensemble, les jeunes sont plus enclins à des rapports directs, et à l'usage du tu que du vous. Yann-Yves Biffe, 34 ans, directeur de la communication du CG des Ardennes a choisi de se faire tutoyer et appeler par son prénom par ses collaborateurs. D'autres, comme Alexandre Cordier, DGS de 28 ans à Bellegarde dans le Gard, préfèrent au contraire le vouvoiement afin de créer distance et respect : « c'est peut-être bizarre pour quelqu'un de jeune comme moi, mais je vouvoie et je serre la main de tout le monde, y compris des femmes. C'est un choix personnel, car je trouve que le tutoiement instaure des rapports plus tranchants. Une demande faite en tutoyant est toujours plus directe. »


Adeptes d'une hiérarchie plate

Mais au final, tous apprécient un mode de management plus direct, transparent et collectif. Delphine Lacaze, professeure en management et co-auteur de l'ouvrage L'intégration des nouveaux collaborateurs, résume bien la situation : « Les jeunes cherchent plus un coach qu'un supérieur hiérarchique ». Une attitude qu'ils déclinent dans leur pratique d'encadrement. Ils sont sensibles au partage de l'information et à une légitimité basée sur les compétences plus que sur la hiérarchie des titres.

Revers de la médaille, ils sont tout aussi prompts à donner leur avis. « Peut-être les organisations ont-elles été habituées à une main-d'œuvre assez docile, continue Delphine Lacaze. Les jeunes acceptent de recevoir un ordre, mais ils veulent savoir à quoi ça sert. Et s'ils ne s'expriment pas par le syndicalisme, ils adoptent parfois des comportements de retrait et d'évitement. Si l'ordre n'a pas de sens pour eux, il ne sera pas forcément bien exécuté. » Certains racontent leur malaise au sein d'administrations très hiérarchisées : plutôt que de courber l'échine, ils sont allés chercher un poste ailleurs.


Des formations de plus en plus spécialisées

Souvent par nécessité économique, les jeunes poursuivent leurs études plus longtemps. Du coup, pour les collectivités territoriales qui fonctionnent sur des filières cadres relativement peu spécialisées, les jeunes cadres contractuels Bac + 5, avec leurs formations pointues et spécialisées, ne sont pas toujours enthousiasmés à l'idée de préparer un concours administratif pour pérenniser leur emploi. Mikaël Le Bars, 25 ans, responsable des affaires juridiques et de l'urbanisme à Magny-les-Hameaux résume l'opinion générale. « Il y a quelques années quand on entrait dans la Territoriale, on y restait. Moi, je ne cloisonne pas. Aujourd'hui, je suis incapable de me projeter. J'envisage de passer le concours, mais pas forcément pour le statut, qui risque de disparaître. Je ne recherche pas de protection. Même s'il est logique que je fasse carrière dans la FPT, rien ne dit que je n'irai pas dans le privé. J'ai l'intention en tout cas de cultiver cette potentialité. Les clivages s'effondrent, des ponts se créent. Un parcours qui alterne public et privé sera sans doute banal à l'avenir. »

Autre conséquence de cette spécialisation, le fait pour des jeunes cadres de devoir manager d'autres jeunes presque aussi diplômés qu'eux mais à un grade différent. François Monteagle, 29 ans et chef de service RH à la ville de Paris anticipe ces difficultés. « Un jeune de catégorie C peut aujourd'hui parfaitement avoir un Bac + 3. Cela crée de la frustration car le système leur a menti. En termes de management, c'est un autre enjeu important. »


Une jeunesse haut-débit

En termes de management, les nouvelles technologies changent aussi la donne. Désormais, l'intelligence se veut collective, ce qui explique la tendance actuelle vers un management plus participatif. Où la transparence est de mise puisque l'information est accessible partout. L'informatique a accéléré le rythme de nos vies, nous n'avons plus l'habitude d'attendre. À cela, s'ajoute une impatience naturelle d'une jeunesse pressée de changer les choses, qui a parfois du mal à se faire aux méandres des décisions administratives. D'où l'expérience de cette jeune administratrice trop pressée, qui souhaite que tout aille vite mais confesse qu'elle est parfois perçue comme oppressante... Conseil d'un consultant en management : mieux vaut préciser les échéances et ne pas rester dans le flou. Pour un manager, cela peut avoir des répercussions néfastes.


Entre pro et perso, les frontières s'estompent

Autre conséquence des nouvelles technologies : les sphères privées et publique s'estompent. On peut réserver ses vacances au bureau et lire ses mails professionnels à la maison. Fanny Villemin, 29 ans, est la jeune directrice de l'administration et des RH de Commercy dans la Meuse. Jeune femme moderne, elle a été la première à demander à pouvoir accéder à sa messagerie électronique à distance. Elle est impliquée dans son travail, mais, comme beaucoup de gens de sa génération, elle aimerait mieux concilier ses vies pro et perso. « J'ai une petite fille de 4 ans, et je souhaiterais parfois organiser mon temps de travail plus librement. Comme il m'arrive de travailler le soir et le week-end, j'aimerais quitter le bureau plus souvent à 18 heures. » À Bellegarde, c'est l'option retenue par Alexandre Cordier, le DGS. Il quitte en général son travail vers 18 heures, mais revient parfois en mairie lorsque ses deux jeunes enfants sont couchés. Dans l'ensemble, les jeunes affirment à 73 % que ce qui est le plus important dans la vie, c'est la vie de famille1. Le travail arrive en deuxième position avec 6 %.

Exigeants, impatients, impertinents... peut-être, mais aussi enthousiastes, impliqués, débrouillards. Nous n'aurions donc aucune raison de nous inquiéter pour nos jeunes. Pas si sûr ! C'est Yoann Zotna qui tire la sonnette d'alarme. Pour lui, la réforme de la formation post-concours d'attaché est une bien mauvaise nouvelle pour les nouvelles recrues. « Sans doute fallait-il réformer. Mais autant auparavant, les gens avaient du mal à concilier formation et travail. Autant, aujourd'hui, c'est l'excès inverse. La réforme prive les jeunes cadres de l'opportunité d'acquérir des fondamentaux en gestion et management de l'humain. »

1. Sondage réalisé pour l'Observatoire Cegos, en avril 2009 auprès de 1 001 jeunes de 20 à 30 ans et de 120 DRH d'entreprises.


« Les collectivités doivent s'adapter aux jeunes »

Les collectivités locales sont souvent désarmées face à cette génération Y, quand elles sont perçues comme impersonnelles dans leur gestion de carrière, statutaires dans leur management hiérarchique et sans ouverture vers d'autres réseaux que celui de l'organigramme... Le risque d'un défaut d'adaptation à cette culture de génération Y est évident : vouloir faire rentrer les récalcitrants dans le moule va conduire au mieux à de la démotivation et des conflits, au pire à un turnover important - ce que remarquent les collectivités en concurrence pour le recrutement ou la fidélisation de leurs cadres, par exemple en Ile-de- France !
Extrait de l'article « Quel contrat pour la génération Y ? » La Lettre du cadre du 1er janvier 2010, p. 42-43


Témoignage

Alexandre Cordier
28 ans, DGS de Bellegarde (Gard)

Mieux partager l'information
« Jamais ma jeunesse n'a été un handicap. J'ai remplacé un secrétaire général qui partait à la retraite. Moi, j'ai fait valoir le titre de directeur général des services. Dès le début, j'ai souhaité décloisonner les services, en particulier en créant une réunion hebdomadaire des chefs de service. Certains ne s'étaient jamais vraiment rencontrés. Nous sommes pourtant une équipe. J'ai aussi souhaité mieux partager l'information. Les magazines par exemple étaient jusque-là destinés à la direction. J'ai mis en place une salle de documentation en libre accès où tous les agents consultent les magazines. »


Témoignage

François Monteagle
29 ans, chef de service des RH
Direction voirie et déplacements,
ville de Paris
Moins de sacrifices
« Pour les jeunes, la valeur travail n'est pas moins importante, mais elle est remise à une place plus juste. Ils souhaitent notamment conjuguer le travail avec leur vie personnelle. S'ils veulent toujours des postes intéressants, ils ne sont pas forcément prêts aux sacrifices de la génération précédente. Les organisations doivent en tenir compte, en favorisant par exemple la diversité des parcours professionnels. Le fait de vouloir alterner des postes d'encadrement ou de direction avec des postes moins « durs », ne correspondant pas à la vision classique de la « carrière », ne doit plus être pénalisant. Aujourd'hui, les jeunes ne disent plus « oui, chef ». Ils parlent plus librement. Et si les chefs ne s'adaptent pas, ils perdront de bons profils. »


Témoignage

Sonia Hamimi
27 ans, chargée du développement durable
Magny-les-Hameaux (Yvelines)
De bonnes conditions de travail
« Ma position n'est pas toujours facile. En plus d'être jeune, je suis rattachée directement auprès du DGS. J'interviens dans le quotidien des agents parfois en essayant de faire changer les choses, par exemple pour réduire la consommation de papier. J'ai un Bac +5 en médiation des connaissances environnementales. J'ai eu du mal à comprendre les rouages administratifs et tout le process de validation d'une décision. Je souhaite suivre une formation au concours d'attaché, pour au moins me tester, car la FPT, c'est la sécurité de l'emploi et des bonnes conditions de travail. »


Témoignage

Fanny Villemin, 29 ans
Directrice de l'administration générale et des RH
Commercy (Meuse)
Jeune et femme, un double handicap
« Pour moi, l'encadrement est la plus grosse responsabilité qu'on puisse donner à un jeune. Dans mon premier poste, j'encadrais une quinzaine de personnes. Cela a été le plus compliqué, car on apprend sur le tas. Mon désir était d'avoir des responsabilités. Mais quand on est une jeune femme, l'autorité n'est pas présumée acquise. Même s'il fallait que je fasse mes preuves, à 24 ans, j'ai eu la maturité d'un cadre. Mais selon moi, c'est moins l'âge que le sexe qui m'a posé le plus de problèmes. »


Témoignage

Yann-Yves Biffe, 34 ans
Directeur de la communication, CG des Ardennes
Plus de responsabilités
« La FPT donne plus facilement des responsabilités d'encadrement aux jeunes. J''étais directeur adjoint d'un service de communication avec 12 personnes à l'âge de 23 ans. Je n'aurais pas eu ces responsabilités dans une entreprise de taille comparable. Les jeunes entrent dans la FPT par leur métier. Ils sont plus attachés aux réalisations qu'au statut. Ils ont aussi besoin de donner leur avis et d'avoir le sentiment d'être écoutés, d'avoir un impact sur ce qu'ils font. »


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À lire sur ce thème
- « Nouvelle génération : le pari jeunes », La Lettre du cadre territorial n° 410, 1er novembre 2010
- « Quel contrat pour la génération Y ? », La Lettre du cadre territorial n° 406, 1er septembre 2010