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L'espace public virtuel s'agrandit

Article du numéro 414 - 15 janvier 2011

Numérique

De nombreux secteurs d'activités comme le commerce, la médecine ou les loisirs développent des applications dans des univers virtuels. Des collectivités franchissent également le pas. Sont-elles en avance ou tout simplement... en dehors de la réalité ?

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Depuis mi-octobre 2010, Second Nature, un jardin digital, a poussé sur les façades des docks de la Joliette à Marseille... Le phénomène est une réalisation de l'artiste Miguel Chevalier. L'½uvre se compose d'une sculpture monumentale abritant un dispositif de projection utilisée pour donner vie à Second Nature. Cette dernière n'est pas qu'une image ou un film, mais un véritable écosystème qui réagit à son environnement : ainsi le passage du tramway entraîne la chute de feuilles et les visiteurs peuvent à loisir déplacer certains végétaux. Cette création est le symbole du statut de capitale européenne que Marseille endossera en 2013. Elle est également le symbole d'un espace public qui tente des incursions dans le virtuel.


Le virtuel, déjà une vieille technologie !

La plupart des collectivités ont investi le virtuel... avec leurs sites internet. Ceux-ci constituent un prolongement des institutions : les habitants y trouvent un accueil, des informations, des formulaires de contact et, de plus en plus souvent, des services en ligne leur permettant de réserver des prestations et de régler leurs factures. Cette porte d'entrée, et les éventuels services qui l'accompagnent, sont tout aussi opérationnels que leurs homologues physiques : il n'y a pas de différence finale entre l'administré qui a inscrit via internet son domicile pour les opérations tranquillité vacances et celui qui a réalisé la démarche au poste de police municipale, entre la famille qui a effectué le paiement en ligne de la restauration scolaire de ses enfants et celle qui s'est déplacée en mairie auprès de la régie.
Les blogs, les forums ou les réseaux sociaux sont autant de prolongements de ce premier pas dans le virtuel. Cette démarche n'est donc pas forcément synonyme de high-tech. Toutefois, puisqu'elle repose sur une technologie informatique qui se développe très rapidement, des pionniers ont conduit des expérimentations avec des outils novateurs.


Une « Second Life »

Second Nature, le jardin digital marseillais, fait référence à Second Life, un univers virtuel né en 2003. Ce programme informatique permet aux utilisateurs de se déplacer, à l'écran, dans un environnement en trois dimensions via un avatar, un personnage spécifique qui représente chaque visiteur. Second Life a connu un fort engouement jusqu'en 2007-2008 : Ségolène Royal y avait ouvert un comité local Désir d'Avenir puis Nicolas Sarkozy l'avait suivi à contrec½ur suite au bruit médiatique généré par cette initiative. Puis Second Life cessa d'être à la mode pour devenir même un produit considéré comme has been : en juin dernier, Linden Lab, la société à l'origine du phénomène, a licencié le tiers de ses effectifs.

Des collectivités investirent Second Life. La commune de Lannemezan fut parmi les précurseurs. Elle installa une mairie virtuelle ouverte aux avatars des visiteurs. On y trouvait panneaux d'information, vidéos et galeries photos en 3D. Une soirée animée par un élu y fut organisée et remporta un franc succès. Mais l'affluence se tassa peu à peu et finit par s'étioler : Second Life passait de mode et les habitants consommateurs de nouvelles technologies se tournaient vers les services de messagerie instantanée. En 2009, Lannemezan mit un terme à l'expérience. La fréquentation ne justifiait plus le coût. D'une part, le nombre total de français utilisateurs de Second Life est plutôt resté faible, moins de 100 000 lors de l'apogée de 2007. D'autre part, si Second Life est gratuit pour les simples promeneurs, une implantation institutionnelle nécessite de régler un loyer - des frais d'hébergement en quelque sorte. Or, selon les prestataires et le niveau de service souhaité, cette dépense oscille d'une centaine à quelques milliers d'euros chaque mois - selon la formule choisie, le retour sur investissement n'est donc pas assuré ! En revanche, de son côté, le département du Jura, qui a créé son double dans Second Life en 2008, poursuit l'aventure : SecondJura est en quelque sorte un site internet immersif en 3D qui vise à faire naître chez le visiteur une « envie » de Jura : 33 000 visiteurs de 37 nationalités différentes ont déjà parcouru SecondJura.


Des villes 3D

Aujourd'hui, la 3D s'étend progressivement. Angers mise sur cette tendance et a co-créé un « Angers virtuel ». La réponse des Angevins semble favorable - environ 2 500 habitants sur 3 000 inscrits. Toutefois une dizaine de connections, effectuées lors de la rédaction de cet article à divers moments de la semaine et du week-end, n'a jamais mis en évidence plus d'une cinquantaine de visiteurs présents par jour. Le projet repose sur deux axes : la communication municipale et une offre commerciale organisée par Best Swing Europe, le partenaire de la ville pour ce projet. Angers 3D servant de référence à l'entreprise, la commune n'a supporté que partiellement les quelque 50 000 euros nécessaires d'investissement. Il reste à sa charge les frais de fonctionnement évalués à un poste - externalisé - à tiers-temps.

D'autres usages sont possibles et restent à développer, comme le souligne un habitant de Dieppe s'exprimant sur un blog : « Cette expérimentation sans heurts ni conséquences pratiques irrémédiables permettrait de tester in vitro des idées innovantes dans tous les domaines. Par exemple les transports. On sait que les transports et le stationnement dieppois sont un fouillis et une horreur sans nom. Changeons les sens de circulation et les emplacements de parkings ad libitum sur la Dieppe virtuelle ! Cela ne fera pas un accident ni un embouteillage de plus mais permettra, cher Monsieur, d'ex-pé-ri-men-ter ! Chaque citoyen sera à même d'apporter sa petite pierre à l'édifice urbain. »

À Paris, en 2007, l'association de riverains Accomplir, utilisa d'ailleurs Second Life pour littéralement « construire » un jardin du nouveau forum des Halles, le présentant comme une alternative à celui envisagé par la mairie. L'association n'obtint pas gain de cause - il aurait fallu que la concertation s'établisse plus en amont -, mais elle démontra le potentiel du virtuel dans la codécision élus-habitants.


Rendez-vous demain

L'essor des univers 3D dans des domaines de plus en plus nombreux laisse imaginer que les collectivités n'échapperont pas à ce phénomène. Celles qui s'emparent d'ores et déjà de cet outil capitalisent une expérience qui leur sera utile à l'avenir. Et ce d'autant plus que les évolutions technologiques permanentes nécessiteront une forte capacité d'anticipation. Ainsi, la réalité augmentée - c'est-à-dire la superposition d'éléments virtuels sur le réel - fait son apparition et bouleverse la délimitation entre le réel et le virtuel.

Ainsi, grâce à l'application Zevisit, il est possible de diriger son smartphone vers des détails de la basilique de Fourvière (Lyon) et de voir apparaître sur l'écran du téléphone, en surimpression, des enrichissements visuels informatifs. Les collectivités déjà habituées au virtuel n'auront que plus de facilité à jongler demain avec les deux univers.


Témoignage

« Ces expériences ne sont pas des gadgets »
Sébastien Célerin, spécialiste des nouveaux médias, enseignant à l'UFR Sciences et technologie de l'Université  de Cergy-Pontoise

Un espace public qui s'agrandit dans le virtuel, est-ce un gadget de technophiles ou de véritables perspectives pour les collectivités ?
Les expériences de ville virtuelle ne sont pas des gadgets. Elles participent à l'attrait d'une région ou d'une ville. Elles permettent également aux usagers de se sensibiliser avec la nécessité de définir leur identité numérique et d'enrichir par leur présence apériodique les lieux qu'ils aiment déjà dans le réel. Ces territoires virtuels sont avant tout des espaces publics. Autant qu'ils soient créés par ceux qui les administrent dans le réel, puis enrichis et peuplés par leurs usagers lorsqu'ils naviguent sur le web.

Quels sont les enjeux ?
Aller au-delà du web (l'internet d'hier) pour investir l'internet d'aujourd'hui avec son cortège d'interfaces (GPS, smartphones, tablettes, etc.) et d'outils, notamment la géolocalisation. Si les possibilités se sont souvent réduites à la définition d'un avatar pour peupler un espace virtuel, elles s'ouvriront bientôt à de nouveaux services, tant privés que publics. Je pense par exemple à l'information des usagers en temps réel sur les flux de visiteurs dans les lieux publics (comme c'est le cas dans une expérience à San Francisco) ou la qualité de la circulation des métros ou des tramways diffusée.


À lire
- "Internet : construire son fil d'Ariane d'information", La Lettre du cadre territorial n° 413, 15 décembre 2010.
- "Réseaux sociaux : il faut en être !", La Lettre du cadre territorial n° 398, 1er avril 2010.