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Michèle André : La RGPP menace la qualité du service public

Article du numéro 412 - 01 décembre 2010

Interview

Mieux satisfaire l'usager, dynamiser les politiques publiques, réaliser des gains de productivité grâce à une organisation plus performante... la RGPP portait une promesse. À mi-chemin de sa mise en oeuvre dans les préfectures, le pari est en passe d'être perdu, estime la sénatrice Michèle André. Sous couvert de modernisation de l'État, la RGPP engage en réalité une marche forcée vers la réduction des dépenses publiques.

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Michèle André est ancienne secrétaire d'État (1988 à 1991).
Sénatrice PS du Puy-de-Dôme, elle préside la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat.
Rapporteure spéciale des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » de la Commission des Finances, elle a enquêté sur la mise en œuvre de la RGPP dans les préfectures, « La RGPP dans les préfectures : la qualité du service public est-elle en péril ?»


Quels sont les enjeux de la RGPP appliquée aux préfectures ?

La RGPP est un argumentaire théorique qui prétend que des gains de productivité peuvent être réalisés grâce à une organisation plus performante des services et à un recours accru aux nouvelles technologies. Une manière pudique de ne pas dire que l'on va supprimer des postes !

Dans les préfectures, l'objectif est de supprimer 2 107 équivalents temps pleins en trois ans, dans les secteurs de la délivrance des titres (29 % de l'objectif), du contrôle de légalité (22 %) et de la gestion des fonctions support (48 %), soit 11,7 % des effectifs affectés à ces secteurs. 740 ETPT ont été supprimés en 2009 et le rythme de 700 postes annuels doit se poursuivre en 2010 et 2011. Leur suppression représenterait 104 M. d'euros d'économie en dépenses de personnel et 18 M. d'euros en dépenses de fonctionnement, soit au total 122  M. d'euros d'économies sur trois ans.


À mi-chemin, quel est l'impact de cette réforme pour la délivrance des titres ?

L'espérance d'une amélioration de la productivité et du service rendu est déçue. Le passage au passeport biométrique a induit dans un premier temps une dégradation des délais de délivrance, sans permettre de dégager les gains de productivité attendus. Le constat est identique pour le nouveau système d'immatriculation des véhicules, avec pour corollaire l'émergence de propositions marchandes, où les usagers qui ont de l'argent peuvent s'offrir un service plus rapide que ceux qui n'en ont pas. Je m'interroge sur la logique qui consiste, en définitive, à faire financer par l'usager et au profit d'acteurs privés, d'incertains gains de productivité dans la sphère publique.


Concernant le contrôle de légalité, quelles sont vos observations ?

La RGPP s'appuie sur une démarche de performance qui vise à recentrer le contrôle sur les actes les plus sensibles et à fort enjeu ; l'urbanisme, l'environnement, la commande publique et les actes budgétaires. Ce recentrage pose la question du « rétrécissement » du périmètre du contrôle.

Avec la suppression de postes de cadre A dévolus au contrôle de légalité, il ne faudrait pas que la diminution du champ prioritaire de ce contrôle ait pour conséquence une augmentation de l'insécurité juridique, qui aurait elle-même un coût social élevé. J'en veux pour illustration une observation faite dans une préfecture, quelques jours après la tempête Xynthia : il régnait une certaine fébrilité dans les services, pour s'assurer que les permis de construire délivrés étaient conformes à la loi...


Dans les sous-préfectures, le conseil aux collectivités est-il également impacté ?

La RGPP se développe dans le cadre de la réforme de l'organisation de l'administration déconcentrée, laquelle repositionne le poids et le rôle des différents échelons. En matière de contrôle de légalité - quand bien même certaines sous-préfectures donnent encore l'illusion d'opérer un contrôle - cette stratégie s'appuie sur une concentration des moyens en préfecture.

Les textes relatifs à la réorganisation de l'État affirment bien que le sous-préfet conserve un rôle de conseil, mais dans les faits, comment pourrait-il maintenir cette activité, dès lors que la RGPP le prive de ses cadres A ? Les collectivités, au premier rang desquelles les petites communes et nombre d'EPCI dépourvus d'expertise suffisante en interne, sont progressivement privées d'un service d'appui juridique de proximité gratuit qui leur permettait d'assurer leurs missions dans la légalité.


Dans ce contexte, quel est l'avenir des sous-préfectures ?

La question des missions à leur confier n'est pas tranchée. Les fonctions d'accueil du public ayant vocation à devenir marginales et le contrôle de légalité étant recentré en préfecture, le gouvernement affirme qu'elles devront « investir pleinement le champ des relations avec les collectivités ». Soit, mais là encore, avec quelle expertise, dès lors que la pauvreté est organisée ? Il y a toujours deux manières de tuer une organisation : en direct, en la faisant disparaître de la carte, ou alors en l'asphyxiant peu à peu. Visiblement le ministère de l'Intérieur à plutôt choisi cette option.


Les mutualisations ont-elles engendré des gains de productivité ?

L'impact de la RGPP sur les fonctions support paraît modeste. Les préfectures se sont engagées sur la voie de la mutualisation dans un nombre restreint de secteurs (standards téléphoniques, gestion des ressources humaines, fonction achat). Un récent rapport de l'Inspection générale de l'administration chiffre à 65 ETPT les économies réalisées, soit une moyenne de 2,03 ETPT par mutualisation. Ces faibles gains ne permettront pas de couvrir les suppressions d'emplois prévues.


Le pari de la RGPP dans les préfectures est-il en passe d'être perdu ?

C'est le cas en effet sur la qualité du service. Le pari, rappelons-le, consistait à réaliser des gains de productivité grâce à une organisation plus performante des services et à un recours accru aux nouvelles technologies. Ces gains de productivité « gageaient » les réductions de postes annoncées, sans dégradation des conditions de travail, ni de la qualité du service public.

À mi-chemin, l'espérance d'une amélioration de la productivité est déçue. Comme mes interlocuteurs, à tous les niveaux de la hiérarchie, me l'ont dit : « on est arrivé à l'os », « on fait tourner un moteur sans huile ». Les préfectures ont absorbé, avec une difficulté croissante, les suppressions drastiques d'effectifs en 2009 et en 2010. L'année 2011 pourrait bien être l'année de trop. Une pause paraît devoir s'imposer.


Avez-vous des chances d'être entendue ?

J'ai bien peur que non. Le dogme de la réduction des dépenses publiques et, partant, de la suppression d'un fonctionnaire sur deux est tenace. Je ne suis pas certaine, du reste, que mes collègues, sénateurs notamment, aient pleinement conscience que la situation faite aux préfectures prend place dans un projet politique plus vaste d'affaiblissement des pouvoirs locaux. L'administration déconcentrée n'est-elle pas le pendant de la décentralisation, son complément naturel ?

On fait aujourd'hui le pari de son inutilité demain : l'assèchement des financements tel qu'il ressort de la réforme territoriale et de la suppression de la TP conduira à une réduction de l'effort d'investissement local ; et moins de projets locaux engendrent moins de besoin du relais de l'État sur les territoires. CQFD.


À télécharger
Le rapport de Michèle André « La RGPP dans les préfectures : la qualité du service public est-elle en péril ? »

À lire
- « RGPP : une politique à sens unique », La Lettre du cadre territorial n° 405, 15 juillet 2010, (Tribune de Jérôme Dupuis)
- « RGPP : dégâts collatéraux dans les collectivités ! », La Lettre du cadre territorial n° 358, 1er mai 2008.
- « Contrôle de légalité : mort ou vif ? », La Lettre du cadre territorial n° 354, 1er mars 2008.