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Intérim : le loup dans la bergerie ?

Article du numéro 412 - 01 décembre 2010

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L'intérim dans la FPT est-il une menace ? Il y a ceux qui soulignent que l'on trouve déjà dans le public et à moindre coût, notamment chez les CDG, ce que proposent les agences d'intérim et ceux qui y voient surtout un gain d'argent et de temps. Face au juteux revenu que représente ce marché pour
le privé, le débat ne fait que commencer.

Réagissez à notre débat : pour ou contre le recours à l'intérim ?

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Depuis une loi récente, les collectivités peuvent maintenant faire appel aux agences d'intérim, les désormais connues ETT, entreprises de travail temporaires. Le but du gouvernement était de faciliter la gestion des RH des collectivités en leur permettant, comme les entreprises peuvent le faire depuis longtemps, de combler certains manques d'effectifs.

Pour les partisans de cette solution, les avantages ne manquent pas, au premier rang desquels on trouve l'avantage coût : pas de recrutements définitifs, sous-traitance aux ETT de tâches répétitives et sans valeur ajoutée RH, comme éplucher les CV. L'argument de la précarité ne tient pas pour eux, car la protection offerte aux intérimaires par les CE des ETT peut égaler celle des collectivités.
Mais pour beaucoup, l'arrivée de l'intérim dans les collectivités ressemble un peu à celle du loup dans la bergerie. Aussi les critiques sont-elles vives de la part de nombreux territoriaux, qui y voient une atteinte au statut, facilitant le recours à des non-fonctionnaires. On lui reproche également de prendre la place des centres de gestion : en clair, ces sociétés d'intérim feraient payer une prestation que les centres de gestion assurent souvent gratuitement. De plus les centres de gestion font travailler des gens qui sont déjà fonctionnaires.

Reste à savoir aussi quel est l'intérêt des agences d'intérim ? Au-delà des missions d'intérim ponctuelles, les ETT ne se serviraient-elles pas de l'intérim pour mettre un pied dans la porte des collectivités, afin de leur proposer ensuite (moyennant finances) tout un panel de prestations RH (parfois hautement rémunérées) : recrutement, gestion de la paye, des congés, formation, bilan social etc. ?

Le loup entre-t-il dans la bergerie ? Place au débat.


Une vraie opportunité, mais pour qui ?

Anne Batailler
abconseil.rh@free.fr
Cabinet AB conseil RH

Les entreprises de travail temporaire (ETT) encouragées par un effet de crise, mais pas seulement, sont naturellement sensibles à l'ouverture de ce nouvel espace d'affaires sur un marché à fort potentiel. Car au final le recrutement d'un mécanicien, d'une secrétaire, d'un jardinier, d'un cuisinier, d'une aide-soignante, d'un comptable ou d'un animateur est sensiblement identique dans le secteur privé ou public. Alors, quel serait l'intérêt d'une collectivité de passer un marché en ce sens ? Et celui du collaborateur embauché ?

Un gain de temps et d'argent
Certainement un gain de temps évident et non négligeable au titre des formalités d'embauche (rédaction et publication de l'offre, recherche, recueil et examen des candidatures, organisation d'un entretien, vérification des compétences et choix final). Cette économie de temps et d'énergie peut permettre de recentrer l'activité RH de la collectivité sur d'autres missions à valeur ajoutée tout en sécurisant un recrutement de qualité.

En effet, si le candidat ne s'adapte pas, la gestion de son départ et son remplacement n'incomberont pas à l'employeur public dont celui-ci pourrait se dégager, moyennant finances, de même que pour l'élaboration de sa paye, de la gestion de ses congés ou d'autres activités susceptibles d'être gérées en direct par le prestataire. Quand de surcroît, elle n'adhère pas à l'Assedic et que le calcul et le versement des droits chômage lui reviennent, la collectivité peut trouver un certain confort partagé par son ancien collaborateur à ce que ces questions soient réglées rapidement par un fournisseur, en l'occurrence l'ETT.

Des avantages aussi pour les intérimaires
Sur le plan social, les intérimaires ainsi recrutés auraient plus facilement la possibilité de compléter, soit leur temps de travail, soit leur période d'emploi quand on sait que la fidélisation des collaborateurs occasionnels n'est pas souvent prioritairement recherchée dans les collectivités. En effet, les vacations et les collaborations ne sont pas travaillées autour de la personne mais en fonction des besoins qui s'apparentent généralement à du saupoudrage. Difficile dans ces conditions de concilier des emplois différents pour obtenir un revenu décent et régulier, une nécessité que l'intérim prend mieux en compte sous réserve des lois du marché de l'emploi.

Autre avantage potentiel en direction des salariés, les sociétés d'intérim disposent de comités d'entreprises puissants dont les intérimaires bénéficient largement. Il y a là une plus-value sur la protection sociale et les loisirs que les amicales du personnel ne proposent pas systématiquement et pas à cette hauteur quand elles sont en mesure de le faire.
Autre argument des ETT, dont le fonds de commerce consiste à placer du personnel compétent, elles se sont véritablement engagées dans des processus de professionnalisation qui profitent à leur main-d'œuvre. Elles mobilisent pour cela des moyens importants, notamment de formation, qu'une collectivité ne réunirait jamais pour des occasionnels, quand elle échoue déjà à le faire pour ses permanents.

L'intérim coûte-t-il cher ?
Le recours à l'intérim coûte cher, enfin plus cher que la gestion interne si on considère uniquement les coûts directs. Mais rien n'interdit d'examiner les coûts indirects correspondant à l'activité intégrale de recrutement et de gestion des non-permanents. En fonction des volumes et des durées, la surface financière affectée à l'écart peut constituer un bon investissement.

D'autant qu'en terme d'affichage politique, le recours à l'intérim permet de sortir de la masse salariale les collaborateurs concernés au profit d'une affectation budgétaire en prestations de service et certes, si c'est le même pantalon, il s'agit là d'une poche différente, ce qui peut présenter un intérêt.
Il semble que peu de collectivités aient aujourd'hui exploré cette voie de recourir à l'intérim, les CDG dont on pouvait imaginer qu'ils examineraient la possibilité de passer un marché auquel les collectivités adhérentes tireraient sur bon de commandes n'ont pas franchement franchi le cap.
Du côté des exécutifs, on s'interroge encore sur la rentabilité et l'image sociale renvoyée par une telle démarche même si la culture de l'intérim s'est déjà implantée dans le milieu médical sans difficulté particulière.

Affaire à suivre !


Dans le secteur public, l'intérim existe depuis plus de 20 ans !

Bernard Breuiller
bbreuiller@cdg29.fr
DGS du centre de gestion du Finistère

Ce n'est pas parce que les ETT le découvrent comme des mammifères rongeurs un fromage, que ces besoins des collectivités n'étaient pas satisfaits.

Un marché juteux
En effet, la loi statutaire a confié cette mission aux CDG qui s'en acquittent. Ainsi, dans le Finistère, un tiers des collectivités ou établissements publics sont régulièrement satisfaits par la mise à disposition d'agents du CDG 29, titulaires (archivistes, etc.) ou non titulaires (agents d'accueil, animateurs, « secrétaires de mairie », cuisiniers...). Il s'agit ici dans chaque département d'un potentiel d'emploi de plusieurs dizaines (voire centaines pour les plus développés) de milliers d'heures de travail.

C'est dire l'attrait pour les ETT en chiffre d'affaires !

En effet, la loi pose la consultation des CDG comme un préalable à toute sollicitation des entreprises privées : nous sommes aussi des agences d'intérim du service public, même si l'expression service missions temporaires, vraiment peu sexy, est souvent préférée à cette appellation, un peu choquante pour certains CDG plus portés au classicisme.

L'ensemble des arguments développés par Anne Batailler est ainsi applicable aux CDG. Gagner du temps, gérer les congés, les allocations de perte d'emploi, la souplesse sur des emplois à temps non complet, les coûts de gestion calculés au plus juste, c'est la politique des CDG.

Si les collectivités qui envisagent d'avoir recours à l'intérim ont de bonnes raisons de le faire, elles en ont d'excellentes de solliciter les CDG. À nous de prouver qu'elles nous sollicitent non parce que la loi les y oblige, mais parce qu'elles sont satisfaites de la qualité de notre prestation, souvent la moins-disante mais certainement et la mieux-disante sociale.

Quelle protection pour les intérimaires ?
Revenons cependant sur notre faiblesse, la seule : nous n'offrons pas, en effet, à nos salariés le bénéfice de comités d'entreprises. Mais aussi sur notre force. Nous offrons à nos salariés non titulaires en situation d'intérim une aide financière aux frais de déplacements (plusieurs dizaines de milliers d'euros par an en Finistère). Nos titulaires bénéficient de toutes les règles statutaires. Mais surtout, nous nous sommes lancés depuis très longtemps dans des processus de formation en alternance, en amont du placement des agents.

En Bretagne, deux licences professionnelles alimentent notre vivier chaque année pour des métiers territoriaux (administratif et technique) ; des conventions passées avec Pôle Emploi (SIFE, etc.), La Poste, France Telecom... nous permettent de former des candidats au recrutement dans la FPT, grâce à une recherche constante de partenariats financiers (contrats d'avenir, chèques insertion, etc.). Formés par nos soins (grâce également, dans certains cas, au CNFPT), ces agents sont envoyés en mission d'intérim et pour ceux qui ne sont pas fonctionnaires, décrochent rapidement un emploi permanent grâce à leur CV ainsi complété.

Le secteur privé ne nous bluffe pas
Nous entrons en concurrence avec les entreprises de travail temporaire (ETT) privées ? Tant mieux ! C'est déjà le cas pour le conseil en organisation, en recrutement, en management, etc.

Nous n'avions pas attendu le soudain intérêt des cabinets de recrutement privés pour la fonction publique (en 1990, quand la crise les affamait), pour mettre à disposition des élus/employeurs locaux nos compétences de conseil en recrutement. Ce n'est pas parce que nos clients sont captifs qu'ils travaillent avec nous, c'est parce que nous avons une prestation (par la mise à disposition de personnel) d'une qualité professionnelle et sociale reconnue.

Le secteur privé ne nous bluffe pas. Il y a belle lurette que les modes de gestion publique ont montré qu'ils étaient très souvent concurrentiels, tout en respectant l'intérêt général. L'époque actuelle, nous semble-t-il, renforce cette nécessité.


Une solution paresseuse...

Jean-Marc Gardère
Chargé de mission au conseil général du Jura
responsable national Ufict-CGT

... et surtout dangereuse car de nature à aggraver la précarité dans la FPT et porter atteinte à l'égalité d'accès aux services publics. Elle s'inscrit dans un contexte de remise en cause du statut de la fonction publique. Outre que c'est parmi les travailleurs temporaires que l'on enregistre le plus de victimes d'accidents du travail, cette disposition pourrait avoir un impact pour les finances locales puisque le recours à une agence d'intérim double la charge financière par agent.

Il existe des prérogatives de puissance publique que cette loi semble méconnaître, dans l'aide à la décision, notamment réglementaire, ou toute tâche qui implique les notions de secret professionnel ou de neutralité. Un recours abusif à l'intérim, sous prétexte de souplesse, mal contenu par un contrôle de légalité fragilisé par la RGPP, pourrait décourager le développement de la gestion prévisionnelle des emplois et donc la formation. D'autres solutions, moins onéreuses, sont pourtant possibles comme, pour les collectivités importantes, le développement d'équipes de remplaçants titulaires ou, pour les autres, le recours aux centres de gestion.


La règle du recours à l'intérim

Le recours à l'intérim est subordonné à l'impossibilité pour le centre de gestion compétent d'assurer la mission de remplacement. La loi du 3 août 2009 confère donc un caractère subsidiaire au recours à l'intérim pour les collectivités, qui sont incitées à accueillir prioritairement des agents mis à leur disposition par les services de remplacement des centres de gestion.
Les cas de recours :
1. Remplacement momentané d'un agent en raison d'un congé de maladie, d'un congé de maternité, d'un congé parental ou d'un congé de présence parentale, d'un passage provisoire en temps partiel, de sa participation à des activités dans le cadre d'une réserve opérationnelle, sanitaire, civile ou autre, ou de l'accomplissement du service civil ou national, du rappel ou du maintien sous les drapeaux ;
2. Vacance temporaire d'un emploi qui ne peut être immédiatement pourvu dans les conditions prévues par la loi FPT n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
3. Accroissement temporaire d'activité ; toutefois le contrat de mission ne doit pas avoir pour objet de pallier la suppression de postes dans les 6 mois qui suivent cette suppression (1) ;
4. Besoin occasionnel ou saisonnier.
Le recours à l'intérim n'est pas possible pour remplacer un médecin du travail ou un agent gréviste (2).

La durée des contrats de mission :
- Lorsque le contrat est conclu au titre des cas de recours 1, 3 et 4, la durée totale du contrat de mission ne peut excéder dix-huit mois. Elle est réduite à neuf mois lorsque l'objet du contrat consiste en la réalisation de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité et portée à vingt-quatre mois lorsque la mission est exécutée à l'étranger.
- Lorsque le contrat est conclu au titre du 2e cas de recours, la durée totale du contrat de mission ne peut excéder douze mois.
Elle est réduite à neuf mois si le contrat est conclu dans l'attente de la prise de fonctions d'un agent.
- Ces durées ont été fixées renouvellements compris.
- Le renouvellement ne pourra être justifié que dans le cas où l'objet de la mission n'a pas été réalisé, ou se poursuit (3).
- Le recours par la personne publique à un salarié intérimaire pour le même poste ne peut ensuite s'effectuer qu'après un délai de carence fixé dans la circulaire (4).

Les missions des intérimaires :
- Elles ne doivent pas être susceptibles d'exposer les agents aux sanctions prévues aux articles 432-12 et 432-13 du Code pénal (5), telles que la surveillance et le contrôle d'entreprise privée ou la conclusion de contrats avec une entreprise privée...
- Elles ne peuvent exiger une qualité ou une habilitation particulière au regard du droit (prestation de serment, agrément...).
- Elles ne peuvent comporter des prérogatives de puissance publique.
- Elles ne peuvent constituer des travaux dangereux listés à l'article D. 4154-1 du Code du travail.

1. Article L1251-9 du Code du travail.
2. Article L1251-10 du Code du travail.
3. Circulaire du 3 août 2010 NOR : MTSF1009518C.
4. Circulaire du 3 août 2010 NOR : MTSF1009518C.
5. Article L1251-61 du Code du travail.


A lire
- « Travail intérimaire : c'est parti », La Lettre du cadre territorial, n° 391, 1er décembre 2009.
- « Intérim : l'emploi à la carte ? », La Lettre du cadre territorial, n° 370, 1er décembre 2008.
- La chronique juridique sur l'intérim « Un objet juridique mal identifié », sur www.lagazettedescommunes.com