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Le Scellier prend le chemin de la bulle

Article du numéro 407 - 15 septembre 2010

Logement

Trop élevés, les plafonds des loyers « Scellier » refroidissent les locataires potentiels dans 170 communes françaises. La menace d'une bulle immobilière s'annonce (logements défiscalisés sans locataires). Le gouvernement réfl échit à supprimer le dispositif dans les communes où le marché locatif est saturé.

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On finirait presque par croire qu'il n'existe pas de dispositif idéal de défiscalisation dans le domaine du logement. Après le Robien, qui a ruiné quelques familles soucieuses de placer au chaud le bas de laine, le Scellier, jugé initialement mieux calibré à la réalité du marché, présente à son tour quelques failles qui ont poussé Benoist Apparu, secrétaire d'État au Logement, à réagir.
Car, pour qu'un bon produit défiscalisé fonctionne, deux conditions minimales doivent être réunies : un marché locatif tendu et des loyers adaptés au pouvoir d'achat des locataires potentiels. Le moindre grain de sable peut s'avérer fatal. Par exemple, si le propriétaire Scellier, à qui les constructeurs ont vanté le scénario parfait, ne parvient pas à trouver de locataires pendant neuf ans, comme la loi le lui impose, le gain fiscal s'envole et son intérêt avec. Or, dans certaines communes où les loyers sont jugés trop élevés et où la demande a reflué, les logements Scellier ont du mal à trouver acquéreurs.


170 communes n'auront plus de Scellier

Initié début 2009, le dispositif Scellier pousse à l'investissement locatif privé en octroyant une réduction d'impôt de 25 % du montant de l'opération. Ce taux sera réduit à 15 % pour les logements trop énergétivores. Dès 2012, le crédit d'impôt sera moins attractif, même pour les logements BBC (bâtiment basse consommation). Il sera de 10 % pour les logements non-BBC. L'investisseur en Scellier s'engage à trouver un locataire dans les 12 mois suivant la livraison du logement, puis à louer son logement pendant 9 ans minimum, tout en respectant des plafonds de loyers fixés chaque année par décret.

Benoist Apparu a clairement laissé entendre que le Scellier pourrait disparaître dans 170 communes placées sous surveillance par le gouvernement face à la faiblesse de la demande locative : « ne pas déclasser [certaines communes] reviendrait à permettre la construction de logements [...] qui ne trouveraient pas preneur, ce qui conduirait à déséquilibrer le marché de l'immobilier de ces communes ». En revanche, un décret publié cet été va permettre à certaines communes situées en zone C (rurales) d'obtenir l'agrément Scellier lorsque le marché locatif est en déficit. Benoist Apparu invite les acheteurs à la vigilance : « il faut toujours vérifier le prix du marché avant d'acheter, vérifier les loyers pratiqués dans la ville, s'assurer des équipements dans le quartier (bien desservi en transports, en commerces) », exhortait-il en mai dernier. Peut-être les maires auraient-ils leur mot à dire sur le type de contrat proposé aux acheteurs dans le cadre d'une opération immobilière. À ce jour, ils n'ont pas connaissance de la nature de la commercialisation de programmes qu'ils valident de bonne foi pour élargir l'offre de logements.


Plafonds de loyers trop élevés

Dans une étude publiée fin avril, la société ImmoGroup Consulting a alerté les autorités publiques sur le fait que le dispositif souffrait de « l'intégration dans son périmètre d'agglomérations ou communes déjà gravement affectées par le dispositif Robien ». Des communes comme Limoges, Montauban, Brive, Poitiers ou Angoulême, situées en zone B2, ne sont plus Scellier-compatibles. La hauteur de plafonds des loyers, jugée trop élevée dans ces zones, complique clairement la tâche du propriétaire.
ImmoGroup estime que les loyers maximums sont supérieurs de 5 % à 50 % aux loyers du marché dans ces communes. « Le dispositif Scellier a été pensé dans l'urgence », assure Jean-Michel Ciuch, directeur d'ImmoGroup, au c½ur de la crise financière de 2008 pour permettre aux promoteurs de maintenir le cap. Or, un mouvement général de baisse ou de stagnation des loyers a pris corps en 2009, se renforçant en 2010, pour présenter des décalages évidents avec les dispositifs rigides du Scellier. L'étude révèle que les trois quarts des agglomérations situées en zone B2, les deux tiers en zone B1 et 40 % - tout de même ! - en zone A (essentiellement en deuxième et troisième couronne parisienne) proposeraient des loyers moyens en deçà des plafonds imposés par le dispositif (lire encadré).
Face à ce constat, Benoist Apparu devait plancher pendant l'été sur « une révision des plafonds de loyers ». La peur de la bulle immobilière se renforce. « Depuis 2008, le gouvernement prend des mesures afin d'éviter que les investisseurs soient incités à acheter des logements là où le marché locatif est inexistant », assure le secrétaire d'État. Pour autant, les ajustements seront ciblés, le gouvernement n'entend pas biffer d'un trait autoritaire un produit ayant permis aux promoteurs de réaliser les deux tiers de leurs 105 000 ventes en 2009. Mais les investisseurs, refroidis, joueront-ils aussi facilement le jeu ?


Les grands écarts

L'étude d'ImmoGroup présente l'avantage de planter le décor des écarts observés en région entre les plafonds Scellier et la moyenne des loyers.
Alpes (zones A et B2) : + 8 à + 70 %
Aquitaine (zones B1 et B2) : + 10 à + 40 %
Bourgogne (zones B1 et B2) : + 5 à + 35 %
Champagne-Ardenne Alsace-Lorraine (zones B1 et B2) : + 10 à + 30 %
Côte-d'Azur (zone A) : + 10 à + 40 %
Haute-Normandie (zones B1 et B2) : + 8 à + 35 %
Ile-de-France (1re et 2e couronnes parisiennes, zones A, B1 et B2) : + 5 à + 35 %
Languedoc-Roussillon (zones B1 et B2) : + 10 à + 40 %
Midi-Pyrénées (zones B1 et B2) : + 10 à + 40 %
Nord - Pas-de-Calais (zone B1) : + 5 à + 40 %
Rhône (zones B1 et B2) : + 10 à + 25 %


INTERVIEW

Patrick Doutreligne
directeur général de la Fondation Abbé Pierre

« Un cadeau disproportionné aux investisseurs »

Vous avez accusé le Scellier d'« hérésie ». Pourquoi ?
Il s'agit d'un cadeau disproportionné fait aux seuls investisseurs, sans la moindre contrepartie sociale. Le gouvernement a lancé le dispositif au c½ur de la crise financière, début 2009, pour soutenir l'effort de construction du pays et l'ensemble de la profession autour du bâtiment. Le Scellier a bien fonctionné, puisque près de 70 000 logements ont été construits grâce aux avantages fiscaux. Nous ne sommes pas opposés aux dispositifs de défiscalisation mais très en colère contre la disproportion des avantages. De toute façon, la règle économique va faire disparaître le Scellier.

Le gouvernement dit réfléchir à une réforme du dispositif...
C'est une nécessité absolue. Tel qu'il est conçu, le Scellier concerne 25 % des Français les plus riches. Il coûte deux fois et demie plus cher à l'État que le logement social. Le soutien de l'État au logement doit être plus juste, plus proportionnel. D'ailleurs, les constructeurs eux-mêmes n'ignorent pas qu'ils ne trouveront bientôt plus de clients. Les catégories les moins aisées sont celles qui aujourd'hui attendent une offre de logements adaptée à leurs ressources. Nous proposons depuis des années une défiscalisation totale pour les personnes qui investiraient dans la construction de logements très sociaux, dont la production est trop faible pour satisfaire une demande malheureusement croissante. Je pense que nous rencontrons de plus en plus d'échos sur ce type de dispositions.


TÉMOIGNAGE

Pascal Pain,
directeur de l'urbanisme à la mairie de Limoges

« Faire de l'habitat intelligent, pas du fiscal »

« Sur Limoges, le marché locatif est saturé, nous avons encore des stocks de logements à écouler. De 2003 à 2008, les chiffres de la construction ont plus que doubler sur la commune. Le Scellier n'est donc pas une grande réussite. Les investisseurs ne se pressent pas. De plus, l'accession à la propriété est privilégiée dans notre commune. Tous les produits défiscalisés doivent tenir compte de la situation géographique dans la ville. Si cette donne est négligée, le Scellier, comme d'autres produits, ne trouve pas preneur. Dans notre commune, nous sommes focalisés sur la densification urbaine, sur la rénovation dans les quartiers anciens, porteurs de régénérescence. Avant de faire du fiscal, il faut faire de l'habitat intelligent ».


Pour se former
Politiques locales de l'habitat : les grands enjeux et la place du logement social
Le 14 octobre, Paris
Contact : Joëlle Mazoyer - 04 76 65 61 00 - joelle.mazoyer@territorial.fr