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Intercos : la bataille de la fusion

Article du numéro 407 - 15 septembre 2010

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« Allons enfants de l'intercommunalité : le jour de gloire est arrivé ! Contre nous de la tyrannie des petites communes, l'étendard intercommunal est levé. » À l'heure où plus d'un préfet veut accrocher une fusion d'intercos à son tableau de chasse et face à des petites communes qui tentent d'imposer leurs conditions, préserver son projet ne sera pas facile. Raison de plus pour bien préparer une bataille qui sort des stratégies intercommunales classiques.

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Formez vos bataillons intercommunaux. Marchons ! C'est drapeau intercommunal au vent, c'est en cohortes serrées que les élus marchent vers les fusions de communautés, vers des lendemains intercommunaux meilleurs, plus beaux, plus grands.

Au loin, vers 2013 ou 2014, on entend déjà la canonnade redoutable : celle des régiments de préfets qui pourront tailler dans le vif, fusionner, regrouper, anéantir les petites unités... Alors, c'est l'appel aux armes : les communautés se regroupent, vite, vite, avant que les préfets ne tonnent de leurs arrêtés autoritaires qui pourraient résulter du projet de loi réforme des
collectivités.
Chacun y va de sa tactique. Des bretteurs, lointains imitateurs de Bonaparte au Pont d'Arcole, s'engagent dans des fusions express... D'autres, de concertation en comité de pilotage, jouent la carte de la diplomatie. Mais tous ont la même stratégie : regrouper les communautés sur de vastes territoires, anticiper sur les décisions préfectorales pour agir et non subir, ne pas oublier les circonscriptions des futurs conseillers territoriaux et députés, se bâtir des majorités, se doter de compétences à l'échelle de la communauté, et donc du bassin de vie et/ou d'emploi. Pour servir ces buts, mieux vaut connaître l'art de cette guerre. Une guerre qui sort des canons de la stratégie intercommunale classique.


La préparation d'artillerie

Avant la fusion ou le regroupement, il faut préparer le terrain en posant les bonnes questions :
- Quel est le territoire naturel des habitants ? Et celui du tissu économique ? Des études de zonages (scolaires, hospitaliers, agricoles, mais aussi associatifs ou bancaires...) surprennent parfois même les élus les plus ancrés dans leurs territoires ;
- Quel lien entre territoire et compétence ? Qui a besoin de quoi ? Avec quelle subsidiarité ? On ne fait pas les mêmes choses à 4 ou à 40...
- Quels sont les facteurs de blocage ?
- Pourquoi se marie-t-on ? Pour des économies d'échelles ? Pour un projet ? Pour la solidarité ? Pour éviter de se faire avaler par une communauté voisine ? Pour la DGF ? Pour asseoir un pouvoir politique local ? Pour
assumer ensemble des enjeux que l'on ne peut ou que l'on ne veut plus subir individuellement ? Un peu de tout cela ? Les questions, là encore, doivent être préalablement posées avec un minimum de clarté. Autrefois, y répondre relevait de la discussion d'alcôve. Aujourd'hui, il est plus usuel d'oser les poser au grand jour... ou presque.
- Quelle communauté rejoindre ? Vaut-il mieux être le premier dans son village ou le second à Rome ? La communauté que je rejoins aura-t-elle (culturellement, socialement, politiquement) un nombre suffisant de communes proches de la mienne ?


La définition d'une stratégie entre alliés

Tout ceci impose un état-major subtilement composé avec :
- Un comité de pilotage qui doit parfois associer les cadres territoriaux, et parfois s'élargir à un nombre plus large de représentants des communes. À défaut, on court le risque de voir se creuser l'écart entre les élus qui vont loin dans le comité de pilotage et les conseils municipaux qui découvrent du jour au lendemain le chemin parcouru sans avoir pris le temps de le comprendre et d'en maîtriser les enjeux et les opportunités.
- Un pilotage qui ne doit pas être « techno ». Au fil du temps, il doit au contraire être pris en main par les élus, sous peine de rejet, de faillite démocratique... et de copier-coller de solutions mal adaptées à la réalité du territoire.
- Un va-et-vient entre trois missions distinctes mais imbriquées : une étude juridique ; une étude financière ; l'élaboration d'un constat partagé sur les enjeux. Ce constat nécessitera souvent des études de territoires, qui n'apportent pas toujours de fabuleuses découvertes, mais qui permettent qu'un tiers dise tout haut les points de tensions ou d'équilibre que chacun n'ose exprimer. Certains exigent en sus une mission organisationnelle, mais cela risque souvent, pour de petits effectifs en réalité, de charger la barque des frais d'AMO...
- Un besoin pour les élus et les cadres de prendre en compte les interactions techniques, gestionnaires et politiques entre la gestion, les projets, les enjeux juridiques et les possibilités financières. Concrètement, il est souvent utile d'alterner formations et groupes de travail : les avocats et consultants devant, selon les cas et les moments, être interventionnistes ou au contraire accoucheurs de consensus... voire parfois de stratégies offensives.


Une offensive rondement menée

Quand vient le moment de l'action, lorsqu'un consensus jugé suffisant est atteint, il ne faut plus s'arrêter au milieu du gué, sous peine de décevoir les zélotes sans rassurer les tièdes.

Quelques conseils sur ce point :
- Choisir entre fusion et adhésions ou autres procédures (dissolution et adhésions) n'est pas anodin juridiquement, financièrement et psychologiquement. Les calendriers diffèrent également du tout au tout...
- L'appui des préfets est aujourd'hui plus qu'hier indispensable... Ils peuvent toujours bloquer un territoire en attendant leurs pouvoirs spéciaux de 2013.
- Les possibilités en terme de gouvernance sont plus nombreuses et complexes qu'on ne le croit, mais elles sont également à apprécier à l'aune de la réforme en cours...
- On peut désormais négocier en termes de fonds de concours, mais aussi d'attribution de compensation, plus qu'auparavant (critères sur mesure à la majorité qualifiée)...
- Entre négociations financières, politiques (sièges, présidence...) et gestionnaires (transfert de compétences), chacun ses espoirs... Il faut souvent ne pas avoir trop d'espoirs sur tous les fronts à la fois et avoir une argumentation qui ne marginalise pas trop vis-à-vis des autres communes.
- L'impact sur le personnel et sur les syndicats existants (compléments de rémunération et indemnités de fonctions y compris) doit être mesuré très vite sous peine d'avoir de mystérieuses mais amples oppositions de tous ceux qui ont à y perdre...


Quel territoire ensuite ?

Après les hostilités, viendra la paix. Mais sur quels territoires ? Au moins 5 000 habitants dit le projet de loi... Très souvent bien plus : sur le terrain, on opère déjà des mégafusions un peu partout. Avec à termes des communautés qui, presque toujours :
- réfléchissent sur leurs compétences, à la hausse mais aussi parfois à la baisse, avec une combinaison entre la mutualisation et la substitution par la communauté des actions autrefois faites par les DDE/DDAF ;
- revoient leurs pactes financiers...
- et surtout tendent à se bâtir à la taille des déplacements des habitants et/ou du tissu économique et social.

Alors, après la guerre, elle sera pas belle la paix ?


TEMOIGNAGE

Emmanuel Marck,
DGA, communauté de communes du Pays de Bitche

« La recherche du consensus, gage de succès »

« La CC du Pays de Bitche est née de la fusion le 1er janvier 2010 de six structures intercommunales. Elle regroupe 37 communes, 25 000 habitants, après plusieurs tentatives non abouties de fusion d'intercommunalités en 15 ans au Pays de Bitche ! À la faveur des élections locales de 2008, un des présidents d'intercommunalité prend en charge le dossier de la fusion et en fait un des thèmes de son mandat.
Des groupes de travail thématiques ont permis aux élus de se connaître. Le fruit de leur collaboration était validé par un comité de pilotage composé des présidents d'intercommunalités.
Le groupe de travail des responsables administratifs des EPCI a piloté la procédure et synthétisé les échanges en réunion.
Les points d'accrochage repérés au long du processus ont fait l'objet de médiations avec les services de l'État.
Cette fusion, c'est plus de 50 réunions réparties sur 6 mois, peu de temps mort et une information systématique des conseillers communautaires et des maires ! Tout au long de la procédure, la recherche du consensus dans tous les aspects de l'intercommunalité a permis d'aboutir à la fusion ».


TEMOIGNAGE

Laurent Soulier
DGS, Communauté de communes de Lacq (Pyrénées-Atlantiques)

« Une fusion ne se décrète pas »

« Nous fusionnerons, au 1er janvier 2011, les communautés de communes d'Arthez-de-Béarn, de Lacq, de Lagor et de Monein (47 communes, 35 000 habitants). Une fusion ne se décrète (évidemment) pas : un pacte de solidarité financière entre nos quatre communautés depuis 1993 ainsi qu'un syndicat mixte qui les regroupent depuis 2005 ont créé des habitudes de travail communes. L'idéal est d'avoir une histoire partagée avant de fusionner. Une fusion peut s'avérer mortelle financièrement : la fusion d'intercommunalités nivelle les compétences par le haut et au futur territoire. En ces temps d'incertitude budgétaire, de réforme de la taxe professionnelle et de discussion toujours ardue pour ajuster les attributions de compensation, les élus ont procédé en deux temps : d'abord, une réduction des compétences des actuelles communautés pour ne conserver dans leurs statuts que celles déjà présentes sur l'ensemble du territoire ; ensuite, la fusion. Enfin, il est primordial de ne pas oublier le préfet : il est à l'enclenchement et à la conclusion de la fusion. L'ensemble de notre démarche a été soumis à ses services et a recueilli son assentiment ».


TEMOIGNAGE

Christophe Vieu,
DGS, Communauté de communes de l'Uzège (Gard)

« Nous avons eu raison trop tôt »

« Notre projet de fusion est à ce jour suspendu. Nous devions fusionner au 1er janvier 2011 avec le Grand Lussan et 7 communes isolées pour atteindre 25 000 habitants et 31 communes. En juin 2009, la CCU a délibéré pour lancer la procédure de fusion/extension, et créer une entente intercommunale, véritable instance politique et comité de pilotage. Le préfet a pris, en décembre 2009, un arrêté sur le projet de périmètre, puis n'a pas créé ce nouvel EPCI bien que les conditions de majorité requises dans les conseils municipaux et les conseils communautaires soient acquises. Il ne souhaite pas revoir le périmètre tous les ans et préfère attendre que d'autres communes nous rejoignent.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés :
- un accompagnement juridique et financier est indispensable. La réglementation sur la fusion est récente et les jurisprudences peu nombreuses. Les incidences financières et fiscales doivent être soigneusement appréhendées, car la fusion incite à une intégration maximale ;
- le management de projet doit ensuite ne pas être négligé. Le délai minimum réglementaire est de six mois, mais dans les faits les projets aboutissent sous 2 à 3 ans. Il faut être capable de le faire vivre sur une longue durée en mobilisant 31 conseils municipaux et 2 conseils communautaires ;
- la formule de l'entente, sans personnalité juridique, s'avère intéressante et souple (les décisions s'y prennent à l'unanimité), elle doit être doublée d'une instance de pilotage administrative ;
- penser également à communiquer auprès des personnels car la fusion est source d'anxiété.

Enfin, il n'est pas absurde de lancer une procédure de fusion, même si elle n'aboutit pas dans l'année. Cela permet toujours de prendre date pour le schéma départemental de coopération intercommunale. Nous avons eu raison trop tôt, mais les élus ne souhaitent pas que le préfet décide pour eux ».