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Le cliché n'est pas un poncif d'Avignon

Article du numéro 400 - 01 mai 2010

Communication

Avignon, qui utilise pour son logo une image du célébrissime pont Saint- Bénézet, pourrait devoir en changer. La justice vient en effet de lui retirer le droit d'utiliser la photographie qui
y est incorporée. Explications.

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Le pont Saint-Bénézet est à la Cité des Papes ce que la Tour Eiffel est à la capitale. C'est donc tout naturellement qu'Avignon l'utilise pour son logo, depuis près de treize ans. Tous les Avignonnais le connaissent et la commune, qui s'est
employée à en faire un élément de son identification, le décline à foison : il orne aussi bien les courriers de la mairie que les panneaux de signalisation urbaine, les documents de l'ODT ou encore les camions de collecte des ordures. Mais cette utilisation est aujourd'hui remise en cause. Philippe Médard, le photographe professionnel à l'origine de l'image du pont incorporée au logo, a fait valoir ses droits devant le TGI, lequel lui a donné en partie raison, le 23 février dernier.


Cession consommée

La ville a fait l'acquisition du cliché en 1997 et un contrat de cession de droits pour « tous usages » a été signé avec le photographe. Au départ, le cliché est utilisé pour réaliser l'affiche de l'opération « Avignon capitale de la culture 2000 ». Sur celle-ci, la photographie a été retravaillée sur informatique : tout en restant parfaitement reconnaissable, le pont est considérablement étiré, au point qu'il semble ne plus posséder qu'une seule arche. Cet effet d'étirement séduit la commune qui décide d'en faire son logo, en y ajoutant le mot « Avignon » - lui-même étiré - au-dessus du pont.
Pour le photographe, cette généralisation de l'utilisation du cliché n'était pas prévue au contrat de cession initial et la rétribution alors versée (12 000 F HT) n'est nullement « proportionnelle » à l'exploitation qui a été faite du cliché durant onze ans, sous forme de logo. Il fait donc valoir que la cession des droits est nulle comme ne respectant pas les exigences de forme, de contenu et de rémunération prévues au Code de la propriété intellectuelle (art. L. 131-1, L. 131.3, L. 131-4 et L. 131-6, notamment). Le TGI le déboute sur ce point. S'il ne conteste pas l'inobservation de certaines mentions devant figurer au contrat de cession (notamment celle portant durée de la cession - art. L. 131-3 du CPI) -, il fait observer que l'action en nullité relative se prescrit par cinq ans (art. 1304 du Code civil), un délai largement révolu depuis la signature du contrat en 1997. « Dommage » pour le plaignant, sachant que la Cour de Cassation a pu juger que la présence de cette mention était impérative, sous peine d'emporter la nullité du contrat(1).


Respect de l'œuvre

Le TGI convient en revanche que la photographie en question constitue bien une œuvre, au sens du Code de la propriété intellectuelle. La ville faisait valoir l'absence d'originalité du cliché, arguant du fait que de nombreux photographes réalisent fréquemment la même prise de vue du célèbre pont et que la déformation du cliché figurant sur le logo était imputable, non pas au photographe, mais à l'agence mandatée pour le créer. Le tribunal estime au contraire - et en l'absence du tirage initial qui a disparu - que cette photographie est une création artistique originale. Il confirme ici des décisions antérieures dans lesquelles le juge a pu considérer que des choix techniques (objectif, pellicule, ouverture et vitesse d'obturation), d'angle de prise de vue ou d'éclairage permettaient de conférer à un cliché un caractère particulier, la marque de l'empreinte de la personnalité de son auteur(2).

En reconnaissant le caractère unique de la photographie - reflet de la personnalité de l'auteur, d'une activité créatrice propre - il considère qu'elle relève du droit d'auteur. Il s'ensuit qu'en l'incorporant à un logo, sans l'autorisation de son auteur, la ville l'a modifiée et dénaturée, et ce faisant enfreint le droit au respect de l'œuvre. Le Code de la propriété intellectuelle dispose en effet que « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est illicite » (art. L. 122-4 du CPI) et que « l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre » (art. L. 121-1 du CPI). Dès lors qu'il ne l'a pas autorisée, le photographe est donc fondé à s'opposer à toute modification, déformation ou mutilation susceptible d'altérer le caractère de son œuvre (« le respect est dû à l'œuvre telle que l'auteur a voulu qu'elle soit »(3).  


Logo en sursis

La ville est condamnée à payer 30 000 euros de dommages et intérêts au photographe (il réclamait le double). Elle est par ailleurs soumise à une astreinte de 100 euros pour chaque jour d'utilisation du logo au-delà d'une période de six mois. Le jugement n'étant pas exécutoire et la commune ayant décidé de faire appel de la décision, elle peut continuer d'utiliser son logo. Comme le reconnaît le dircom d'Avignon, Philippe Debondue, ce sursis évite de devoir se doter d'un nouveau logo dans l'urgence (cf. interview). Dans l'hypothèse d'une confirmation du jugement en appel, le coût risque bien, néanmoins, d'être nettement supérieur à celui des dommages et intérêts. Outre la conception d'un nouveau logo, c'est toute la signalétique, la papeterie et les documents de communication de la commune et de l'ODT, le marquage des véhicules... qu'il faudra revoir. De quoi, peut-être, faire regretter de ne pas avoir accepté les offres de transaction financière que l'avocat du photographe affirme avoir faites, avant de s'en remettre au juge...

1. C. Cass., Ch. civile, 23 janvier 2001, n° 98-19990.
2. Cf. TGI de Paris, 30 mai 2007, Claude N., Marie P./Danone et autres.
3. TGI de Paris, 18 février 2004, Joël S., Saif/Le Front National.


INTERVIEW

Philippe Debondue
directeur de la communication de la ville d'Avignon

« Des centaines de milliers de photos chaque année »


Ce contentieux vous a-t-il surpris ?
« Nous avons été surpris de la démarche du photographe. Elle intervient alors que deux jugements de première instance l'ont déjà débouté de ses requêtes en indemnisation des droits patrimoniaux. En outre, c'est treize ans après la création du logo que la question est posée sous l'angle de la création et du droit moral. Pourquoi avoir tant attendu pour se prévaloir de sa propre création ?

En quoi la photo en question n'est-elle pas une œuvre ?
Le pont est un site classé qui fait l'objet de centaine de milliers de photos chaque année, dont nombre sont, tant du point de vue de l'éclairage que de l'angle, identiques au cliché discuté. Du reste, ce n'est pas la photo elle-même qui représente le logo, mais ce qu'en a fait l'agence chargée de le réaliser ; le logo est l'expression d'un travail de création. L'originalité ne réside donc pas dans le cliché de départ, mais dans sa transformation par déformation, et c'est cette expression qui donne naissance au logo. Nous sommes confiants dans notre capacité à faire entendre nos arguments en appel.

Et si vous deviez abandonner votre logo ?
La décision du TGI n'est pas exécutoire, nous n'avons pas à réagir dans l'urgence et nous pouvons nous préparer sereinement à cette éventualité. D'ailleurs, ce logo existe depuis une dizaine d'années, aussi on peut considérer que le moment peut être venu de le faire évoluer. Avignon a beaucoup changé durant ces années - sa population a augmenté, elle s'est dotée d'un pôle de compétitivité... - et les nouveaux éléments qui modifient aujourd'hui son identité doivent être intégrés à son image. Le pont est un élément déterminant de cette identité, mais il n'est pas le seul. »


À lire sur ce thème
« Le poids des mots, le choc du droit à l'image », La Lettre du cadre territorial n° 378, 15 avril 2009.
Pour aller plus loin
« La communication publique territoriale », « Propriété et droit de l'information appliqués aux collectivités »
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