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Arrêt Olivet : une arme de négociation massive ?

Article du numéro 397 - 15 mars 2010

Finances

En février 2015, les DSP excédant 20 ans seront caduques. Pour les contrats de l'eau, l'enjeu est de taille : les collectivités disposent là d'une arme redoutable pour pousser les délégataires à être moins gourmands. À condition de maîtriser les calculs financiers et de s'y prendre dès maintenant. 2015, c'est demain

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Au printemps 2009, une bombe à retardement est tombée dans le paysage français de la délégation de service public : l'arrêt du CE « commune d'Olivet »(1). La première détonation vient de se faire entendre (cf. encadré). Il est probable qu'il y en ait d'autres.
Revenons brièvement sur les conclusions de cet arrêt, puis exposons concrètement ses implications pour les décideurs locaux en termes de scénarios d'évolution contractuelle, d'investigations à mener et de calendrier.


Rappel des conclusions de l'arrêt :

Par l'arrêt « Commune d'Olivet », le Conseil d'État précise qu'un contrat conclu antérieurement à la loi du 2 février 1995, prévoyant une durée supérieure aux 20 ans prévus par l'article L. 1411 du CGCT n'est pas entaché de nullité mais ne peut plus être exécuté par les parties au-delà de la durée maximale légale. La date d'application de la loi étant le 4 février 1995, il en résulte qu'un contrat conclu avant 1995 et prévoyant une durée de plus de 20 ans devient caduc à compter du 5 février 2015.
Cette décision du Conseil d'État se base sur un principe juridique relativement simple à appréhender, l'impératif d'ordre public des dispositions de la loi Sapin du 29 janvier 1993 : cette dernière ayant pour vocation de « garantir, par une remise en concurrence périodique, la liberté d'accès des opérateurs économiques aux contrats de délégation de service public et la transparence des procédures de passation », elle autorise l'application de son article 40, limitant la durée, aux contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur.


Interruption : les scénarios possibles

Dès lors, quelles sont les différentes solutions possibles pour les collectivités entrant dans cette configuration ? Trois scénarios sont envisageables :
- le premier ne dépend pas directement de l'application de l'arrêt, il résulte de la prérogative de puissance publique (ou fait du prince) : la résiliation du contrat pour motif d'intérêt général, avant le 5 février 2015 ;
- les parties peuvent attendre la caducité du contrat au 5 février 2015 ;
- ou enfin définir les conditions de sa poursuite jusqu'à son terme, voire jusqu'à un terme intermédiaire, à compter de la date de caducité.
Ce dernier scénario n'est possible qu'à une condition : s'il est fait la démonstration que les investissements pris en charge par le délégataire à l'origine du contrat ou par voie d'avenant ne peuvent être amortis (cf. encadré sur la notion d'amortissement) sur la durée normale du contrat (à savoir 20 ans). Il faudra alors que les parties soumettent au trésorier-payeur général la possibilité de prolonger l'exécution du contrat, conformément aux dispositions prévues par l'article L. 1411-2 du CGCT.


Les conséquences indemnitaires des dates d'interruption

En cas de résiliation unilatérale, la compensation versée au cocontractant par la collectivité comprend les deux composantes usuelles du calcul indemnitaire :
- la perte subie du fait des achats et des investissements réalisés pour exécuter le contrat, appelée damnum emergens ;
- le manque à gagner, à condition que la preuve soit faite de la perte de bénéfice, appelé lucrum cessans, et ce de la date de résiliation jusqu'au 5 février 2015.
Dans le cas de la caducité ou de la poursuite, seule l'indemnité damnum emergens est due au délégataire : le contrat étant caduc à sa date d'interruption, il n'y a effectivement pas lieu d'inclure le manque à gagner.
Les modalités de calcul de la part non amortie des investissements ont reçu récemment un éclairage définitif par le Conseil d'État(2), ce qui clôt un débat récurrent entre collectivités, leurs conseils et les opérateurs de service public : la part non amortie doit-elle être rapprochée d'une notion de valeur nette comptable, voire d'un amortissement de caducité (cas d'une immobilisation amortie sur la durée du contrat), ou d'une approche plus globale, tenant compte de l'équilibre économique général de la délégation ? La réponse du Conseil d'État est sans ambiguïté : « la durée normale d'amortissement des installations susceptible d'être retenue par une collectivité délégante, peut être la durée normalement attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d'exploitation et d'investissement, compte tenu des contraintes d'exploitation liées à la nature du service et des exigences du délégant, ainsi que de la prévision des tarifs payés par les usagers, que cette durée coïncide ou non avec la durée de l'amortissement comptable des investissements ».
Autrement dit :
- ce n'est pas la durée d'amortissement comptable des engagements pris par le délégataire qui fonde la durée du contrat, mais bien son économie prise dans sa globalité ;
- l'indemnité devant être versée au cocontractant ne peut pas s'apprécier de manière isolée : elle est nécessairement la résultante de l'appréciation qui sera faite de l'économie générale du contrat.
Cette démarche a deux conséquences importantes :
- la caducité du contrat, voire même sa résiliation unilatérale avant l'échéance du 5 février 2015, n'implique pas nécessairement le paiement d'une indemnité pour non-amortissement des capitaux investis, s'il est démontré que le contrat a atteint un niveau de rentabilité acceptable à sa date de résiliation ;
- la poursuite du contrat au-delà de 2015, pour peu qu'elle soit demandée par les cocontractants, nécessite que soit faite la démonstration de son utilité économique.


Approche de l'économie globale du contrat

Pour apprécier l'équilibre économique du contrat, il faut tenir compte de l'intégralité de sa durée. Ce qui est évident dans le principe ne l'est pas nécessairement dans la pratique, notamment parce que les comptes rendus financiers sont fréquemment inexistants avant 1995 (cf. loi Mazeaud). La consolidation des comptes rendus financiers passés n'est pas suffisante pour approcher l'économie du contrat à la date de négociation : ceux-ci comprennent en effet des charges calculées, lissées sur la durée du contrat, et le financement de la structure. Il est donc préférable de rebâtir un tableau des flux de trésorerie du contrat (ou approche par les cash-flows).

Pour cela, il faudra notamment retrouver les montants précis et les dates d'investissement réellement effectués par le délégataire. Pour apprécier au plus juste l'économie réelle du contrat, on pourra notamment approcher les effets induits par la répartition des charges de structure selon les clés économiques, ou calculer le financement/la rémunération du besoin en fond de roulement.
Pour la partie prospective de la simulation, des hypothèses doivent être posées : sur l'évolution des assiettes de facturation, des charges de fonctionnement ou de la politique patrimoniale (renouvellement, renforcement ou travaux de premier établissement). L'approche prospective ne devra pas oublier d'inclure les éventuels coûts d'interruption prématurée du contrat, l'opérateur subissant objectivement des coûts de restructuration anticipée de son organisation.

L'établissement d'un tel tableau financier, rétrospectif et prospectif, permet de calculer l'économie du contrat à différentes dates possibles d'interruption. À partir d'un référentiel choisi, l'observateur peut donc faire son appréciation de l'atteinte ou non de l'équilibre économique du contrat. Il vaut mieux raisonner sur la base d'un taux de rentabilité interne (TRI - voir encadré) avant impôt sur les sociétés. L'IS est en effet calculé par l'administration fiscale sur un résultat comptable consolidé et non pas sur le résultat du contrat.

La décomposition de l'économie globale entre l'exploitation et les opérations de finan­cement (volet concessif) est possible en considérant que les charges calculées lissées correspondent aux recettes perçues sur les usagers pour couvrir les dépenses d'investissement. Dès lors, la simulation peut à la fois faire ressortir la rentabilité globale du contrat et celle relative aux différentes composantes de l'économie du contrat, indispensable à l'évaluation des indemnités spécifiques aux capitaux investis. Le particulier et le général sont indissociables.


Nécessité d'une anticipation

Les contrats concernés par la caducité au 5 février 2015 sont par nature des contrats à forts enjeux financiers et patrimoniaux. Pour les plus anciens, les collectivités n'ont plus, depuis longtemps, la maîtrise d'ouvrage et donc la connaissance du service. L'asymétrie d'information entre le délé­gataire et la collectivité peut rendre nécessaire que ces dernières anticipent rapidement cette échéance.
Dans un premier temps, en réalisant un audit approfondi de la délégation, contractuel, financier et technique. Dans un deuxième temps, en testant « l'espérance de vie économique » de leur contrat, laquelle devra permettre de conclure à l'interruption naturelle du contrat début 2015 ou à la nécessité de sa poursuite au-delà.
En cas d'accord trouvé entre les parties pour la poursuite du contrat, il faudra nécessairement que le TPG soit saisi de la demande et ait donné son accord, avant que l'avenant ne soit signé. Nous voyons donc l'importance qu'il y a pour les collectivités de se saisir rapidement de cette question.

1. CE, ass. 8 avril 2009, Compagnie générale des eaux et commune d'Olivet n° 271737.
2. CE du 11 août 2009, société Maison comba, n° 303517.


L'exemple de la ville de Toulouse :

La presse nationale et régionale s'est récemment fait l'écho du cas de la ville de Toulouse, laquelle a obtenu de Veolia, par voie d'avenant, une diminution du tarif d'eau potable de 25 % en contrepartie de la poursuite du contrat jusqu'en 2020. La délégation de service public avait été passée en 1990 pour une durée de 30 ans. Selon l'impératif d'ordre public, elle devenait caduque au 5 février 2015. Les parties auront donc trouvé un accord rendant justifiable économiquement la poursuite du contrat jusqu'à son terme. Dans le cas d'un contrat jugé rentable à la date de négociation, celles-ci ne disposent, à vrai dire pour cela, que de deux moyens : mettre à la charge du délégataire de nouveaux investissements, ou de nouvelles obligations d'exploitation, ou baisser la rémunération de manière significative. Ces charges supplémentaires et/ou ces pertes de produits constatées sur la durée résiduelle du contrat doivent venir réduire la marge bénéficiaire globale.


Critère d'appréciation de la rentabilité d'un contrat

L'appréciation de l'équilibre économique global du contrat ne se fonde sur aucune définition précise. Les cocontractants, en phase de négociation, ou le juge administratif, en cas de litige, disposent donc d'une marge d'appréciation très large. Il faudra arrêter un ratio financier représentatif et reconnu par les parties (taux de marge, taux de rentabilité interne...), puis déterminer un référentiel pour fixer la négociation. Concernant le taux, la notion de TRI (taux d'actualisation annulant la somme des cash-flows) devra être privilégiée dans le cas d'investissements concessifs initiaux - à la différence du taux de marge moyen, il permet de tenir compte des décalages de recettes et de dépenses dans l'appréciation de l'équilibre financier de l'opération. Pour réduire la subjectivité de l'appréciation du niveau acceptable - ou normal - de rentabilité, les parties pourront se référer à la rentabilité des capitaux propres de l'entreprise concernée.


À lire
Sur ce thème, notre dossier thématique
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