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Le consommateur, ennemi du citoyen...

Article du numéro 391 - 01 décembre 2009

Idées

Société liquide : c'est le concept que Zygmunt Bauman décline, livre après livre, pour éclairer la nouvelle donne que représente, pour le vivre ensemble, la marchandisation triomphante, en tous lieux et en tous domaines.

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Dans la « société liquide » que dissèque Zygmunt Bauman, le consommateur est au centre du jeu. Dans les pays riches, qui donnent le ton et conduisent la globalisation pour la planète entière, l'abondance de biens et de services est telle que les enjeux se sont déplacés de la production vers la consommation : pas de stabilité sans croissance, pas de croissance sans achat. D'où la mise en place d'une impressionnante ingénierie des désirs.


L'annexion des pulsions de possession

Le marketing a réussi le prodige d'annexer au bénéfice du marché les pulsions de possession, d'imitation des mieux dotés ou de conformisme aux modèles en vigueur. Ainsi se développe, à un train d'enfer, une économie de la profusion et de l'excès, où l'idée même de satisfaction des besoins n'a plus de sens, puisque ceux-ci, à peine satisfaits par un nouvel objet sont réactivés par un autre, plus nouveau, qui relègue au rang de déchet son prédécesseur.
Société liquide pourquoi ? Parce que le mouvement y est la norme. Le rapport de chacun à la marchandise est à renouveler en permanence, pour que circulent les flux monétaires que nous appelons richesse. Et parce que tout ce qui pourrait retenir les individus de se laisser prendre dans ces flux devient un obstacle à éliminer : ainsi des appartenances au territoire, aux institutions, aux collectifs liés par des valeurs ou des statuts. C'est le sens de la fameuse flexibilité : la nouvelle économie a besoin d'individus disponibles au déploiement de ses logiques, libres de liens et d'engagements qui iraient au-delà d'arrangements momentanés.


L'éthique en difficulté

Dans ce nouveau paysage, l'éthique est en grande difficulté. Le souci de l'autre, le souci de soi dans sa relation à l'autre, sont aux antipodes du nouveau paradigme en vigueur, qui rabat l'humain sur la recherche de satisfactions individuelles et exacerbe en tous domaines compétition et concurrence. De plus, la société moderne liquide est aujourd'hui une société sans institutions pertinentes : elle a vu se réaliser l'équivalent de ce que Max Weber décrivait à propos de la naissance du capitalisme : la séparation des affaires et du « foyer ». À l'époque, c'est de la régulation apportée par les communautés locales que les affaires s'étaient affranchies, et il fallut ensuite l'affirmation des États-nations pour la rétablir, à travers de grandes politiques publiques.
Aujourd'hui, pour la deuxième fois, les affaires se séparent du « foyer » (au sens de territoire dans lequel les hommes sont capables de les réguler). La mondialisation économique sans construction politique nous laisse en panne de gouvernance. Or, nous dit Bauman, les exigences éthiques sont trop lourdes à porter par l'individu livré à lui-même, s'il ne se dote pas avec ses semblables d'outils collectifs d'organisation de la solidarité et de construction d'un monde commun.
Nous en sommes à ce point : l'urgence est à la reconstruction de l'espace public. Il faut y réussir à la bonne échelle : celle de la planète, car les problèmes sont aujourd'hui mondiaux, et il est vain d'espérer y répondre sur des scènes politiques locales. Comment ne pas penser, à partir de là, à l'exemple du climat. Il est certes l'affaire de chacun, comme on nous exhorte à le penser, mais il faudra aussi, pour être à la hauteur, réussir à ce qu'elle soit l'affaire de tous, ensemble : à suivre à Copenhague.

L'éthique a-t-elle une chance dans un monde de consommateurs ?
Zygmunt Bauman, éditions Flammarion
Retrouvez des extraits de cet ouvrage sur www.lettreducadre.fr/comp-redac.html, complément rédactionnel n° 944.