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À Poitiers, un « consommer local » pour tous

Article du numéro 390 - 15 novembre 2009

Expériences

La communauté d'agglomération de Poitiers (CAP) initie depuis 2007 une démarche collective innovante, mixant la production agricole de proximité, le lien social et la consommation locale. Une expérimentation qui fait tâche d'huile...

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« En 2007, les élus de la CAP ont souhaité impulser des modes de consommation alternatifs (Amap(1), groupement de consommateurs) dans les quartiers dits prioritaires (CUCS) » explique Julien Poncet, chargé de mission à l'Insertion sociale et solidaire. « Développer la consommation de produits locaux, c'est préserver l'environnement, et c'est aussi créer la solidarité avec les territoires » poursuit-il. La prise de conscience au sein de l'agglomération remonte à 2003 avec la création d'un marché de producteurs locaux sur le square Magenta, non loin du centre ville.
Mais ce marché ne peut satisfaire la demande grandissante. Michel Berthier, conseiller communautaire en charge du dossier depuis 2007, explique : « Il nous est apparu évident qu'il fallait aller plus loin, en assurant le rôle d'animateur, afin de créer des passerelles entre des acteurs aux intérêts différents, en étant placé au centre d'une organisation transversale ».
En effet, qui peut mieux qu'une intercommunalité mettre autour de la table des habitants, des associations de producteurs, les chambres d'agriculture, des métiers, du commerce, les Ateliers santé de Poitiers... ? Le « bras armé » de la CAP pour animer ce groupe de travail hétérogène ? Son service Solidarité et Cohésion locale.


Expérimentation dans deux quartiers

« Pour nous, il est important que les bons produits des circuits courts profitent aussi bien aux scolaires, aux personnes en situation de précarité, aux familles, et pas seulement aux bobo-bios... » souligne le conseiller communautaire. Pendant que les cinq Amap émergeaient toutes seules, l'agglomération a concentré son énergie sur les quartiers, là où il y a des freins culturels et sociaux « mais pas que... » nuance le chargé de mission. Le service Solidarité et Cohésion locale commence par réunir un groupe de travail (avec les associations(2), les chambres consulaires et les acteurs de quartier, la chargée de mission du contrat local Initiatives climat de l'agglo) pour lancer les expérimentations.
Deux quartiers prioritaires sont choisis : Poitiers-Sud et Trois-Cités. L'objectif : favoriser l'émergence de groupes de consommateurs, les accompagner et, à terme, les laisser présider à la destinée de leur groupe... Pas simple. Si la création de groupes de consommateurs est préférée à celle d'Amap, c'est que la formule est moins exigeante en terme d'organisation. Pas besoin de voter un président, un trésorier, etc. Le principe est toutefois sensiblement le même : les consommateurs s'approvisionnent auprès de producteurs sur un même lieu et à une fréquence déterminée. Autre différence de taille pour cette population moins favorisée : les personnes commandent leurs produits au coup par coup et n'engagent pas d'argent à l'avance comme dans les Amap.


Méthode d'approche

Le groupe de travail établit une approche en trois étapes. Première étape : sensibilisation des habitants au sein des associations, de conseils de quartier, de réunions publiques... Pour le quartier Poitiers-Sud, l'agglo reçoit le soutien d'étudiants en Master II ESS qui mobilisent les citoyens. 200 personnes répondent ainsi à l'appel lors de la première réunion. Deuxième étape : mobilisation de producteurs. Ils sont environ 25 sur le département à être séduits par l'initiative. Pour attirer les producteurs dans les quartiers (deux mondes qui n'ont pas l'habitude de se côtoyer), l'agglomération s'appuie sur les associations telles que l'Afipar(3) qui possède une vraie « pertinence pédagogique » et qui est en lien avec les producteurs et surtout les nouveaux producteurs à l'affût de débouchés. Troisième étape : faire se rencontrer les consommateurs et les producteurs autour d'un temps de dégustation...


Qualité des échanges

Les premières livraisons commencent en juillet 2008, et deviennent mensuelles. Les deux groupes de consommateurs totalisent 40 personnes, une dizaine de producteurs et 20 à 25 commandes par mois. « Il aura bien fallu compter un an et demi avant que les personnes apprennent à se connaître et que des « ambassadeurs de quartiers » prennent la tête de ces groupes » estime Julien Poncet. Le chargé de mission déclare toutefois que « l'agglomération est satisfaite du résultat, et de la qualité des échanges ». L'expérimentation est ainsi actuellement élargie à la commune Migné-Auxances, une manière d'agir en dehors de la ville centre tout en restant sur une zone prioritaire, et au quartier Poitiers Ouest, un autre quartier CUCS. Le service organise désormais des rencontres entre les groupes de consommateurs et les Amap de l'agglomération afin d'échanger sur les bonnes pratiques. « Nous souhaiterions que les Amap et les groupes s'accordent entre eux pour proposer à leurs membres un prix d'achat en fonction du quotient familial » souhaite Michel Berthier.

1. Association pour le maintien d'une agriculture paysanne.
2. Bienvenue à la ferme (rattachée à la chambre d'agriculture), Afipar, Les Jardins d'aventure (promotion de l'environnement), Agrobio Poitou-Charentes (association départementale d'agriculteurs bio).
3. Association formation d'ingénierie pour les paysans et les ruraux.


Consommer local... et conséquences

« Certains commerçants ont craint que les Amap leur fassent de l'ombre » note Samuel Bonneau, responsable de l'association Minga, association nationale qui agit pour des échanges équitables, à Poitiers. Mais pas question d'opposer les Amap et le petit commerce. « Les Amap ont une fonction sociale de maintien d'une agriculture paysanne à la périphérie de l'agglo ». Fin 2008, l'agglomération et ses partenaires réagissent : il faut associer les commerces de proximité, les restaurateurs, les épiceries solidaires aux circuits courts. Une étude diagnostic est confiée à des master en ESS. C'est l'association Minga qui est chargée de démarcher ce public. « C'est l'occasion de replacer le métier de commerçant, vers un commerce plus équitable, plus solidaire, au c½ur des évolutions liées au développement durable ». La CAP et Minga ont signé une convention de partenariat pour un an. La CAP a aussi confié à l'association la tâche de construire les filières d'approvisionnement en circuits courts, quand elles n'existent pas. Après quelques mois de réflexion, le responsable local pour Minga estime nécessaire de mettre en place une plateforme logistique et fédératrice sur internet. Or, concevoir un tel outil représente des efforts budgétaires conséquents. « À moins de nous rapprocher d'une Scop sur Grenoble : Court-Circuit.org » propose Samuel Bonneau. « Le consommer local » bute enfin et surtout sur un autre écueil : le manque de produits locaux « d'autant que la restauration scolaire pourvoyeuse de produits locaux, monte également en puissance » note Michel Berthier. Afin de préparer l'avenir, l'agglomération a demandé à la chambre d'agriculture de réaliser une étude pour recenser les terres disponibles et en reconversion, pour faire du maraîchage en circuit court. Cette étude entre dans le cadre d'une convention liée au réseau Terres en villes.