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Accueil minimum : fin du 1er round

Article du numéro 370 - 01 décembre 2008

Education

Juste avant la grève du 20 novembre, des décisions de justices sont tombées en rafale sur l'obligation d'organiser le service minimum d'accueil. Si les réponses de la justice administrative portent largement sur la forme, elles ont contribué à préciser le paysage juridique. Analyse à chaud.

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Le débat relatif à l'accueil des enfants dans les écoles soulève la question de la difficile conciliation entre deux droits constitutionnels ; le droit de grève et un principe général du droit de même portée juridique dégagé par le Conseil d'État : la continuité du service public.


Gesticulation ?

Problèmes pratiques suscités pour les ­parents, risques induits pour la collectivité et pour les enfants... les élus municipaux s'interrogent sur l'attitude à adopter. Cette difficulté est renforcée par les positions des préfets qui ont manifestement reçu consigne de saisir le juge administratif en référé aux fins de « contraindre les ­récalcitrants » à s'exécuter, le cas échéant sous la menace d'une astreinte. Juri­diquement et pratiquement, cette ­approche coercitive apparaît comme une gesticulation ­politique assez largement vouée à l'échec. La loi du 20 août 2008 semble de ce point de vue assez impraticable et sa mise en œuvre forcée vouée à l'échec.


Une décision illégale

Le refus d'assurer l'accueil prévu est juridiquement illégal et encoure la censure du juge administratif. Implicite, tacite ou ­expresse ; il constitue dans tous les cas une décision attaquable en droit administratif dès lors qu'elle sera peu ou prou formalisée. La sagesse veut qu'on informe les parents de la position de la collectivité suffisamment en amont. C'est cette information préalable qui servira de support à une action éventuelle sans qu'il soit nécessaire de rechercher une délibération ou un arrêté en bonne et due forme. Les moyens juridiques de le contester ­devant le juge semblent en revanche bien compliqués en raison des délais très courts dont disposeraient les préfets et de la nature même de l'acte contesté. Comment contester une abstention, alors que, par principe, le juge de l'excès de pouvoir s'interdit a priori d'user d'injonction à l'encontre de l'administration ?


Référé administratif ou injonction ?

Le 18 novembre 2008, le TA de Lyon a rendu neuf décisions concernant les neuf communes de la Loire visées par le préfet (alors que près de 142 communes n'avaient pas mis en place le service ­minimum d'accueil...). Il a rejeté la ­demande du préfet sur le fondement de l'article L. 521-3 du Code de justice ­administrative qui exclut des pouvoirs du juge de « faire obstacle à l'exécution d'une décision administrative » en référé. Sauf à arriver bien après la bataille, c'est en effet bien sous la forme des référés, au coup par coup et sous la condition de l'urgence, que le juge administratif pouvait être saisi... Après ce premier échec procédural, le préfet de la Loire (comme ses homologues) saisissait sans délai le même juge par la voie du déféré préfectoral de l'article L. 2131-6 du CGCT pour ­demander la suspension de la décision attaquée, outre une requête en ­annulation également déposée contre cette même décision. Cette nouvelle voie suppose toutefois que l'acte attaqué soit identifié et formalisé, et qu'il soit ­attaquable en droit, ce qui reste à ­démontrer s'agissant d'une décision ­implicite de refus de transmission par la commune, à l'académie, de la liste des personnes susceptibles d'intervenir pour le service minimum d'accueil...

L'injonction de l'article L. 911-1 du Code de justice administrative permet, elle, au juge lorsque sa décision « implique ­nécessairement » que soit prise une ­mesure déterminée (mise en place du service ici), assortie le cas échéant d'un délai et d'une astreinte. Compte tenu du délai très bref pour la mise en place des mesures et du débat toujours possible sur la notion de mesures découlant nécessairement..., le contentieux reste aléatoire pour le maire. Le juge des référés du TA de Lyon s'est fondé d'ailleurs, et sur l'obstacle de la censure à une décision ­administrative (pour l'article L. 521-3 du CJA), et sur la brièveté des délais (pour son article L. 521-1) sachant que si le doute ­sérieux sur la légalité du refus d'organiser l'accueil ne fait guère débat, la notion d'urgence apparaît plus discutable nonobstant l'obligation cumulative d'attaquer au fond. Cela donnera lieu dans quelque temps à d'intéressantes décisions... mais au plan ­juridique, l'actualité sera alors dépassée.


L'astreinte en plus de l'injonction ?

L'article L. 911-3 du Code de justice administrative permet lui d'assortir la suspension non seulement d'une injonction mais d'une astreinte financière, mesure coercitive au-delà d'un délai préfixé pour s'exécuter ; après le « juge administrateur » qui s'immisce dans la gestion de la collectivité en lui prescrivant telle ou telle mesure (réputée découler nécessairement de sa décision) voilà le juge répressif qui menace « d'amendes » : le tribunal administratif de Toulon a, en la matière, battu le record avec une astreinte de 10 000 euros par heure de retard...


Une responsabilité alourdie

S'il est vrai que le nouvel article L. 133-9 du Code de l'éducation prévoit que la responsabilité administrative de la commune dans l'organisation de ce service est transférée vers l'État, il n'en va pas de même de la responsabilité pénale. En effet, il est seulement dit sur cette question que la protection fonctionnelle du maire en cas de poursuites ­pénales sera garantie par l'État, et non par la commune elle-même. Cette disposition, d'apparence protectrice, n'est en réalité que le rappel très clair du principe de responsabilité personnelle de l'élu, et de toutes les personnes assurant l'encadrement des ­enfants, sur le plan ­pénal, des faits dommageables susceptibles d'être commis. C'est donc bien le maire, l'adjoint en charge des affaires scolaires, et toutes les personnes qui assurent l'encadrement des enfants (y compris ceux qui participeront au service sans être agent de la collectivité), qui se verront exposer au risque de poursuites pénales en cas d'accident. Si toutes peuvent voir leur responsabilité pénale personnellement engagée, la loi n'a prévu de garantie au titre de la protection fonctionnelle de l'État que pour le maire. On peut donc en déduire que pour toute autre personne, il ­reviendra à la commune d'accorder sa garantie (décision du maire pour les agents, et délibération du conseil ­municipal pour les élus).


Un riche débat juridique

Vérité à Lyon, erreur à Toulon, référés du Code de justice administrative ou déféré du CGCT... le débat est juridiquement riche. Les élus « récalcitrants » n'ignorent pas l'illégalité de leur position, ni les réticences des parents d'élèves. Même les élus favorables au service d'accueil peinent à le mettre en place matériellement.Les déférés préfectoraux apparaissent pour l'essentiel assez vains, voire gesticulatoires, dès lors que les délais sont extrêmement brefs et que dans la pratique, la décision ­attaquable n'est pas toujours évidente à identifier...Restent la sécurité des enfants et le service public, qui requièrent une information en temps utile et un accueil a minima pour les situations difficiles, sans préjudice d'un risque pénal irréductible qui va peser sur les maires et leurs adjoints personnellement dans toutes les hypothèses d'accueil défaillantes ou simplement impossibles : un drôle de cadeau de Noël !


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Sur la base juridique:
l'ordonnance du TA de Toulon du 19 novembre 2008.