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Intérim : l'emploi à la carte ?

Article du numéro 370 - 01 décembre 2008

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Le projet de loi relatif à la mobilité dans la fonction publique autorisera les collectivités à recourir aux services d'entreprises de travail temporaire. « Pourquoi pas ? » répondent les gestionnaires, mais à condition d'utiliser les intérimaires avec modération.

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Le recours à l'intérim est en principe impossible dans les collectivités territoriales. Mais il existe. Petites et grandes structures font, en effet, régulièrement appel au remplacement temporaire pour répondre à l'urgence et assurer la continuité du service public. Elles sollicitent pour cela des entreprises d'insertion, recrutent des personnels non titulaires via le centre de gestion départemental (CDG) ou en encore puisent dans leur vivier de candidatures. S'il était adopté, l'article 10 du projet de loi relatif à la mobilité permettrait aux collectivités de recourir légalement à l'intérim et de solliciter le service de sociétés privées de placement. « C'est finalement la fin d'une certaine hypocrisie » relève Catherine Braczi, DGAS RH de Drancy. Ce recours serait autorisé en cas de circonstances exceptionnelles (comme l'extrême urgence), de vacance temporaire d'emploi non immédiatement pourvu dans les conditions prévues par la loi statutaire, pour des remplacements momentanés ou des surcharges de travail occasionnelles. Il ne pourrait être mis en œuvre que lorsque le CDG « n'est pas en capacité d'assurer la mission de remplacement ».


Solution d'exception

Cette proposition réjouit les professionnels du secteur. Ils voient là, la possibilité de (re) conquérir des parts de marché, dans un contexte économique difficile où l'emploi intérimaire est en net repli (cf. encart). Côté territoriaux en revanche, elle divise. Pour certains, elle n'a d'autre enjeu que de privatiser un marché et d'ajouter une pierre supplémentaire à l'entreprise de déconstruction statutaire en banalisant l'arrivée de salariés sous contrats privés. « Que l'intérim existe parfois est une chose, que l'on considère qu'il faille le développer et l'amplifier en est une autre » estime ainsi ce responsable CFDT pour qui l'intérim ne répond pas à de réels ­besoins et obère la réflexion sur la sécurisation des parcours des personnels sous contrat. Pour d'autres au contraire, l'intérim constitue une réponse pertinente apportant un peu de souplesse et de liberté de gestion aux collectivités, auxquelles la loi ­impose de garantir la continuité du service public quoiqu'il arrive.


L'utilisation de l'outil n'en devrait pas moins rester exceptionnelle et maîtrisée : « l'intérim ne doit pas devenir un substitut à l'emploi permanent », précise Agnès Montalvillo, DGA RH de Poitiers. Une maîtrise qui devrait moins découler de restrictions réglementaires que d'un encadrement par les pratiques : « laissons les collectivités libres de ­recourir à l'intérim pour des raisons notamment de continuité de service, dans l'esprit de la libre administration », plaide Olivier Ducrocq, DRH du conseil général de la Savoie. « Pourquoi ne pas l'utiliser pour des remplacements de courte durée à pourvoir en urgence et sur des postes où nous rencontrons des difficultés de ­recrutement dans les délais imposés », propose pour sa part Stéphane Auzilleau, DRH de la région Aquitaine.


Gestion publique

Les collectivités feront-elles, pour autant, appel au service des agences d'intérim ? Rien n'est moins sûr. « Nous disposons d'agences d'intérim d'insertion et les CDG ou le CNFPT peuvent nous proposer des personnels qualifiés, bien plus que ne sauront le faire des agences d'intérim. Le service public est capable de plus de compétence, de performance et d'éthique que la gestion privée » explique ­Michel Wilson, conseiller technique auprès du président de la région Rhône-Alpes. Les cellules remplacement dont certains CDG se sont dotés proposent effectivement une ­expertise pensée comme un processus d'intégration à l'emploi : recrutement, formation, accompagnement à la prise de fonction, suivi de poste en poste... « L'intérim pour nous, c'est à la fois une solution à un besoin temporaire ­urgent et un parcours de professionnalisation. Ce n'est pas « placé, payé et terminé », mais une philosophie du parcours », plaide Édith Martin, directrice du CDG de l'Isère. Du reste, dans les collectivités dotées en ­interne d'un service remplacement, le ­recours aux agences ne s'imposera pas : « nous recevons des milliers de candidatures par an et disposons d'une cellule remplacement. Cette internalisation est un choix politique et d'efficacité. Pourquoi confier à d'autres ce que l'on sait faire ? », s'interroge Stéphane Auzilleau. Et Olivier Ducrocq de confirmer : « nous gérerons toujours directement un volant d'agents temporaires car nous savons dans la plupart des cas les repérer et les recruter, et nous n'avons aucune envie de nous retrouver pieds et poings liés aux sociétés d'intérim ».


« Nous sommes prêts »

François Roux, délégué général du PRISME, Union patronale des professionnels de l'intérim

- Comment accueillez-vous le projet de loi ?


Jusqu'alors, nous ne pouvions détacher des personnels intérimaires dans les collectivités locales qu'en cas « d'extrême urgence ». Ce motif de recours était très étroit, soumis à l'appréciation du préfet et privait les collectivités de ce moyen de flexibilité qu'est l'intérim. L'évolution de la législation va dans le bon sens, car elle permet à la France de s'aligner sur la situation des autres pays européens. Selon l'étude réalisée par la Confédération européenne des agences privées pour l'emploi, la levée des limitations pourrait permettre de créer en France, d'ici 2012, 132 366 emplois dans le public.


- Que pensez-vous pouvoir apporter aux employeurs locaux ?


Les collectivités vont pouvoir s'appuyer sur un réseau de professionnels de l'emploi pour sélectionner et recruter des candidats en intérim, mais aussi en emploi permanent. Nous disposons d'une expertise solide, d'une capacité de formation de nos intervenants et d'un vivier de candidatures. De plus, comme 20 % des intérimaires le sont par choix, nous serons réactifs aux besoins des employeurs, y compris sur les métiers en tension. Pour ces métiers, l'arrivée d'un nouveau partenaire est un plus pour attirer et fidéliser de nouveaux candidats. De manière générale, je pense que notre venue sur ce marché permettra de faciliter les passerelles de personnels entre le privé et le public.


« Même pas peur ! »

Édith Martin, Directrice du centre de gestion de la FPT

Le marché de l'emploi intérimaire s'étant dégradé en 2008, les centres de gestion s'attendent à une offensive des sociétés d'intérim. Ils s'affirment dans le même temps déterminés à ­relever le gant de la perte de leur monopole. « La notion de carence introduite à notre demande, doit permettre aux CDG non pourvus de se doter d'une cellule remplacement » explique Édith ­Martin. La définition d'un cahier des charges s'imposant aux agences serait également à l'étude. Et puis, prévient Bernard Breuiller : « on ne sait pas encore à qui incombera de prouver l'état de carence, mais si on est dans un dispositif de droit, je me réserverai celui du rappel judiciaire aux agences ». Du reste, selon lui, la concurrence peut être stimulante (les CDG ne sont pas toujours performants) et ne doit pas faire peur : les établissements ont des atouts à faire valoir (connaissance du statut, suivi de la mission, taux de placement en emploi permanent, coût...) et la concurrence portera ­essentiellement sur les métiers communs aux secteurs public et privé ; « sur les secteurs en tension, je mets au défi les agences de faire mieux que nous pour recruter des infirmières, des secrétaires de mairie... ».


« Le sens du service public demande une longue pratique »

Hugues Portelli, rapporteur pour la commission des lois du Sénat, 16 avril 2008.


« Même si la souplesse offerte par l'intérim est avérée, il n'en reste pas moins discutable de confier aux intérimaires qui, par nature, assurent des missions fugaces chez des employeurs successifs de toutes natures, des fonctions de puissance publique. Le projet de loi prévoit de les soumettre aux obligations des agents publics [...], mais le sens du service public s'acquiert par une longue pratique et par l'application d'un statut spécifique. [...] La variété des cas permettant de recourir à l'intérim et la durée des emplois temporaires en résultant, accentuera nécessairement la précarité au sein de l'emploi public par la simplicité de la procédure ».


Maîtrise des coûts

Le coût pourrait bien être également un obstacle majeur au recours au privé. Selon certains en effet, l'externalisation conduirait à doubler les budgets consacrés au remplacement temporaire. Et quitte à solliciter un partenaire, le recours au CDG serait plus avantageux : « nos prestations sont exonérées de TVA et en cas de perte d'emploi, nous assumons le versement de l'allocation de retour à l'emploi ; les collectivités feront leur compte », argumente le directeur du CDG du Finistère, Bernard Breuiller. Prenons le temps de l'analyse, tempère Agnès Montalvillo : « l'enjeu est d'optimiser les processus de remplacement et le choix entre les différents modes opératoires devra aussi considérer le coût à long terme de personnels qui, recrutés à un moment donné, restent en poste sans que l'on sache vraiment si cela correspond à un besoin effectif ». Au final, le choix du privé pourrait donc se révéler une option par défaut, limitée à des besoins marginaux, comme l'explique Olivier Ducrocq : « quand j'ai 24 heures pour trouver un cuisinier dans un collège au fond d'une vallée savoyarde, je serais heureux qu'une agence me sauve la mise, uniquement dans le cas où nous n'en avons pas trouvé un dans ­notre vivier de remplaçants, ce qui demeurera minoritaire et ponctuel ». Les agences sauront-elles relever le défi ?


« Limiter la précarité »

Jacques-Alain Bénisti, rapporteur pour la Commission des lois de l'AN, 4 juin 2008.

« Le projet de loi permet aux personnes publiques de répondre de manière efficace à leurs besoins temporaires en personnel, car le recours à une entreprise de travail temporaire est une solution souple et rapide [...]. L'intérim devrait également permettre de limiter la précarité. Le recours à des agents contractuels ou à des vacataires présente, en effet, l'inconvénient de placer un nombre important de personnes en situation précaire. Certains agents accumulent ainsi des contrats à durée déterminée et peuvent travailler pendant de nombreuses années pour une personne publique ».


Doc-Doc

« Les agents contractuels des collectivités locales », un ouvrage de la collection Classeurs des éditions Territorial. Sommaire et commande sur la librairie Territoriale.