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Dans la Manche : une taxe professionnelle au coeur du conflit

Article du numéro 359 - 15 mai 2008

Fiscalité

Depuis deux ans, le département de la Manche et Areva s'opposent sur le calcul de la taxe professionnelle de l'usine de retraitement des déchets nucléaires de la Hague. Une différence d'interprétation juridique qui ferait perdre près de 35 millions d'euros à l'ensemble des collectivités de la Manche.

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Tout a débuté avec la refonte de normes comptables internationales. Autorisant les entreprises à jouer sur la durée d'amortissement de leurs investissements, elles conduiraient à diminuer le montant de la taxe professionnelle due aux collectivités. Un mécanisme que conteste le conseil général de la Manche à la lecture de l'article 123 de la loi de ­finances rectificative pour 2006 qui viendrait, selon lui, neutraliser ces normes.


Au début, une procédure amiable

En 2006, face au gel de la situation, les deux parties entamaient une procédure amiable, avec le concours du ministère des Finances, avec deux résultats. D'une part, la mise en place d'un dispositif dégressif de compensation partielle de la dette sur trois ans, d'autre part, un profond désaccord sur l'interprétation à donner à « l'article 123 ». C'est sur ce différend que le conseil ­général vient de porter l'affaire devant le tribunal ­administratif. D'après Dominique Lévy-Druon, DGS au conseil général, les 15 millions d'euros de perte de TP, sur les 100 millions habituellement perçus par le département, sont loin d'être résiduels : « Notre réputation de département aisé nous colle à la peau, ­regrette-t-il. Mais si les taxes diminuent, c'est autant d'argent en moins dans les caisses de collectivités qui doivent supporter d'importants transferts de charges. La TP due par Areva est déterminante ». La requête devant le TA porte sur deux points. Il s'agit tout d'abord d'invoquer l'excès de pouvoir du ministère des Finances qui aurait opposé, lors de la procédure amiable, une fin de non-­recevoir au conseil s'agissant de la lecture de l'article 123. La direction des services fiscaux est consultée afin de connaître la véritable nature, neutralisante ou non, de ce même article. Car, en cas de ­réponse défavorable, le conseil général envisage d'engager un second recours. « La procédure risque d'être longue car aucun de nous ne veut céder, reconnaît ­Dominique Lévy-Druon. Mais le conseil général ne dispose plus de marge d'endettement et les 15 millions d'euros manquants sont en train de nous ­asphyxier ».


Appliquer la réglementation

Tandis qu'Areva prétend être trop imposée, le conseil général refuse de placer le débat sur ce terrain. « Il n'est pas question ici de savoir si la taxe est trop ­importante pour l'entreprise, revendique Dominique Lévy-Druon, mais bel et bien de s'appuyer sur l'application d'une disposition tout à fait spécifique pour le calcul et le versement de la TP ». Car, si les taux de fiscalité départementale augmentent de 2 % en 2008, les contraintes demeurent ­importantes pour la Manche, qui estime que cette hausse ne constitue pas un levier suffisant pour ­enrayer la baisse des bases de taxe professionnelle d'Areva.

Noélie Coudurier
noeliecoudurier@territorial.fr


« Travers et replâtrages »

Cette affaire illustre les travers et les replâtrages successifs de la taxe professionnelle depuis sa création :


1. Des modalités de calcul de la base d'imposition qui pèsent fortement sur la TP des entreprises industrielles. Avant la loi de 2006, sauf exceptions limitées, les équipements et biens mobiliers étaient retenus dans les bases de TP à hauteur de 16 % de leur prix de revient tel qu'il figure en ­entrée de bilan (avant amortissement). Pour Areva, qui dispose d'immobilisations coûteuses, les bases de TP résultant de ce calcul sont donc très importantes.


2. Des ajustements fréquents et complexes qui aboutissent à des modifications substantielles de bases : la modification législative a permis à Areva, pour le calcul des bases de TP, d'allonger la durée d'amortissement de certaines immobilisations à plus de trente ans, conduisant à retenir dans l'assiette fiscale de TP 8 % de leur prix de revient, au lieu de 16 % précédemment, divisant par deux la prise en compte du prix de revient de ces immos dans l'assiette de TP.


3. Une protection affichée des ressources acquises par les collectivités locales : la loi affiche la neutralisation des effets, sur les bases, des modifications de la durée d'amortissement pour les biens figurant déjà dans les bases de TP à une date de référence. En revanche, pour tous les biens acquis postérieurement à cette date, les bases supplémentaires de TP sont plus faibles que celles résultant du calcul antérieur à la modification législative. Mais les sorties (avant la date de référence) et les entrées (après la date) d'immos (à l'occasion d'un renouvellement des biens par exemple) ne ­garantissent pas la neutralisation affichée.


4. Une absence de précision sur les modalités pratiques de calcul de dispositifs législatifs d'une complexité croissante : aucune instruction fiscale n'a précisé les conséquences de cette modification législative sur les bases de TP. D'où une divergence de vues, dans un contexte financier difficile pour l'État, qui incline au pessimisme quant à la possibilité pour la collectivité d'être entendue.


5. Au final une limitation de la progression des recettes supplémentaires perçues par les collectivités locales : le manque à gagner ne peut être compensé par une hausse du taux de TP : Areva bénéficiant du plafonnement de sa cotisation par rapport à la valeur ajoutée, la collectivité est soumise à un prélèvement en cas de hausse du taux, même si en l'espèce, l'effort financier supplémentaire consenti par l'État sur la cotisation d'Areva est nul, puisque la loi plafonne la prise en charge par l'État de la cotisation d'Areva : Areva paye le supplément de cotisation résultant de la hausse du taux mais la collectivité n'en bénéficie pas pleinement. Autre bizarrerie...


Pascal Heymes - Stratorial Finances
pascal.heymes@stratorial-finances.fr


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